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20.04.04 Sághy/Schoolman (eds.), Pagans and Christians in the Late Roman Empire

20.04.04 Sághy/Schoolman (eds.), Pagans and Christians in the Late Roman Empire


Décédée en 2018, Marianne Sághy était une spécialiste reconnue en hagiographie de l'Antiquité tardive, Professeur à la CEU (Central European University of Budapest). La direction de Pagans and Christiansa donc été une de ses dernières contributions, avec son Saint Martin, Soldier of Christ, paru quelques mois avant son décès. Elle a été assistée par Edward M. Schoolman, Professeur associé de l'Université du Nevada, lui aussi versé dans l'hagiographie tardo-antique, après des recherches sur l'aristocratie au début du Moyen-Âge. L'ouvrage qu'ils ont dirigé ensemble est issu d'un colloque international tenu du 7 au 10 mars 2013 à la CEU de Budapest, en collaboration avec l'Université de Pécs, colloque consacré à l'étude des relations entre païens et chrétiens au sein de l'empire romain, du IVe au VIIIe siècle, dans la continuité d'un colloque déjà co-organisé en 2012 par la CEU de Budapest et l'Université de Pécs, consacré quant à lui à l'étude de l'impact de la vision politique de Constantin sur la ville de Rome au IVe siècle.

Organisé en cinq rubriques (Vies, Identités, Cultes, Paysages, Tombes), l'ouvrage donne le texte de dix-neuf contributions (dont deux doubles), après avoir évoqué trente conférenciers, et avant de donner une liste de vingt-et-un contributeurs, dont Edward M. Schoolman, Mariane Sághy ayant seulement assuré la coordination du colloque. Sept contributions ont été appuyées par un total de cinquante-trois illustrations de qualité assez inégale: en effet, les légendes des plans d'Aquæ Iasæ (actuelle Varaždinske Toplice, en Croatie, p. 139), de la basilique chrétienne et du sanctuaire païen de Karabyzie (près d'Odessa, en Ukraine, p. 189) sont illisibles, les photographies de deux fresques d'Aquæ Iasæ (140) sont ininterprétables, et quelques illustrations auraient mérité d'être plus grandes pour en faciliter la lecture (fresques et autel de Gerania, site lui aussi proche d'Odessa, en Ukraine, à l'opposé de Karabyzie: p. 200 et 201; carte de l'Irlande, p. 343). En revanche, les autres illustrations sont de très grande qualité, en particulier celles qui accompagnent les communications de Zsolt Visy, d'Olivér Gábor et de Zsuzsa Katona Györ sur les cimetières tardo-antiques de Sopianæ (actuelle Pécs, en Hongrie: p. 295-339). On saura gré aux éditeurs d'avoir ajouté deux indices, nominum et locorum.

La rubrique "Vies", qui comporte cinq contributions, est ouverte par une réflexion de Maël Goarzin sur l'importance de la vie pratique pour les philosophes païens et chrétiens (11-26), qui veut montrer, à travers la mise en perspective de la Vie de Plotin par son disciple Porphyre de Tyr et de la Vie de Macrine par Grégoire de Nysse, que le style de vie de ce philosophe païen et de cette ascète chrétienne aurait transcendé ce qui les séparait, ce qui nous paraît une mince découverte, et qu'enseignait déjà plus d'un siècle auparavant l'épître à Diognète. Linda Honey (27-42), Margarita Vallejo-Girvés (43-58), Anna Judith Tóth (59-68), et Juana Torres (69-82) livrent respectivement une étude de parcours prototypiques: de sainte Thècle d'Icononium, martyr issue d'une famille païenne du Ier siècle; de la basilissa Vérine qui, devenue veuve en 474, tenta d'imposer son frère à la tête de l'Empire avant d'être exilée; d'un fonctionnaire néoplatonicien traditionnaliste du vie siècle, Jean le Lydien; et de Marc d'Aréthuse, un hérétique cependant reconnu comme confesseur de la foi au IVe siècle.

La rubrique "Identités" comporte quatre contributions qui s'interrogent sur la catégorisation comme "païen" dans les lettres de saint Ignace d'Antioche et le récit du martyre de Polycarpe--tous deux hors-champ chronologique du colloque (Monika Pesthy Simon, p. 83-96)--, ainsi que dans les Passions des saints pannoniens du IVe siècle Synerotis et Pollionis (Levente Nagy, p. 97-104), chez saint Augustin (Jérôme Lagouanère: p. 105-118), et enfin dans les chroniques rédigées au vie siècle par Procope, Agathias, Jean Malalas, Grégoire de Tours et Jordanès (Ecaterina Lung, p. 119-132).

La rubrique "Cultes" comporte trois contributions: celle de Branka Migotti étudie les implications du maintien du culte au Sol inuictus à Aquæ Iasæ (133-150); celle de Miriam Adan Jones est consacrée à la façon dont Grégoire le Grand envisagea la conversion des païens anglo-saxon (151-164); et celle d'Edward M. Schoolman montre comment païens et chrétiens exprimaient leur appartenance sur des lampes en terre-cuite retrouvées le long du pourtour méditerranéen entre les IVe et VIe siècles (165-181).

La rubrique "Paysages" comporte trois contributions: après Hristo Preshlenov, qui étudie le passage du paganisme au christianisme le long de la côte Sud-Ouest de la Mer Noire lui aussi entre les IVe et VIe siècles (181-202), Józef Grzywaczewski et Daniel K. Knox présentent la figure de la déesse Roma dans les panégyriques de Sidoine Apollinaire (203-216), avant que Luciana Gabriela Soares Santoprete ne présente l'outil numérique qu'elle a élaboré avec Anna van den Kerchove afin d'étudier les points de connexion entre le courant platonicien entendu au sens large (avant tout Plotin, l'autre exemple qu'elle prend, Numenius d'Apamée, étant plutôt un néopythagoricien) et ses expressions minoritaires aux IIe et IIIe siècles, étude qui se situe donc une nouvelle fois hors champ chronologique du colloque (217-240).

Enfin, la rubrique "Tombes" offre trois études de cas: celle du mausolée de Dioclétien à Spalatum (actuelle Split, en Croatie) par Ivan Basić (241-272); celle des cimetières du IVe siècle de Sopianæ par Zsolt Visy (273-294), Olivér Gábor et Zsuzsa Katona Györ (295-340); et enfin celle des cimetières tardo-antiques de l'Irlande par Elisabeth O'Brien (341-356), laquelle se distingue doublement par l'ampleur du champ chronologique de son étude (du Ier au VIIIe siècle, donc hors champ du colloque pour ce qui concerne son amont) et l'originalité de son champ spatial qui n'est évoqué par ailleurs que dans la communication de Miriam Adan Jones. C'est, de toute évidence, ce qui a amené les organisateurs du colloque à définir le champ spatio-temporel de celui-ci de façon un peu artificielle: en effet, si la politique anglo-saxonne relève comme l'Irlande de la partie occidentale d'un Empire romain qui n'est plus alors qu'un horizon évanescent--ce qui permet de justifier l'extension géographique du champ du colloque--, aucune contribution hormis celle d'Elisabeth O'Brien ne porte son regard jusqu'aux VIIe et VIIIe siècles, au demeurant fort peu abordés dans sa communication. Tout ceci contribue à donner au champ effectif couvert par le colloque de Budapest des allures d'inventaire à la Prévert, ce qui, avouons-le, est malheureusement assez symptomatique de ce genre universitaire mais, dans le cas d'espèce, peu dommageable.

Concernant le fond, on pourra mettre en regard la contribution de Linda Honey avec celle d'Anna Judith Töth, la première tenant que les termes de "païen," "chrétien," et "juif" étaient parfaitement identifiés durant l'Antiquité Tardive, et la seconde défendant que la ligne de démarcation entre païens et chrétiens n'était pas très claire. Il nous semble cependant que l'une et l'autre commettent une erreur de méthode qui affaiblit leurs thèses respectives, en ne tenant pas assez compte, la première de la date de rédaction extrêmement mal établie de la Passion de sainte Thècle, et la seconde du fait que Jean le Lydien fut avant tout le témoin désabusé d'un monde condamné à disparaître qui vivait mentalement dans le passé.

Juana Torres emporte encore moyennement notre conviction en tentant d'expliquer pourquoi un hérétique comme Marc d'Aréthuse a finalement pu être dépeint comme un confesseur de la foi victime de l'auguste Julien. Selon elle, cela s'expliquerait essentiellement par la marque profonde qu'aurait appliquée sur le récit de la vie de Marc d'Aréthuse la structure rhétorique dont ceux qui ont rapporté le récit de sa vie avaient été nourri (Grégoire de Naziance, Sozomène, Théodoret de Cyr). Pour autant, faut-il aller jusqu'à penser avec Juana Torres que le résultat final ne serait qu'une "historical reconstruction," [1] ce qui est déjà beaucoup plus que le "historical distorsion" [2] du titre? Nous pensons quant à nous, qu'il aurait plutôt fallu parler de "compréhension" que de "reconstruction" ou de "distorsion" historique, à moins de confondre la forme et le fond des textes. Cette même confusion a mené Monika Pesthy-Simon à défendre l'idée encore plus surprenante selon laquelle le modèle littéraire du martyre n'aurait pas été principalement le Christ, lequel ne serait que "one among the many literary heroes of Antiquity." [3] En contrepoint, Levente Nagy d'une part, Józef Grzywaczewski et Daniel Knox d'autre part, ont apporté une autre éclairage sur l'influence de la forme sur le fond dans les sources chrétiennes: la première a ainsi insisté sur l'importance de la "fourth-century "ascetic revolution." [4] (les guillemets sont de l'auteur), pour expliquer la fusion entre les modèles martyriaux et monastiques; les seconds ont montré que Sidoine Apollinaire "embellish his work with references to pagan mythology and literature." [5]

Autre thèse surprenante, celle défendue par Jérôme Lagouanère, selon laquelle, du fait de son éducation classique, saint Augustin aurait regardé le païen "not only as an adversary, but also as a brother," [6] au point que Jérôme Lagouanère relativise la qualité de "committed Christian" [7] de saint Augustin. Jérôme Lagouanère semble d'ailleurs un peu hésitant dans le choix de son vocabulaire: ainsi, quand il s'interroge sur la possibilité d'un "pagan as exemplar," [8] pour finalement parler juste après de "'model'" [9] (les guillemets sont de lui), les deux mots ayant pourtant un sens différent aussi bien en anglais qu'en français. Il aurait été certainement plus juste de s'en tenir à la qualité d' "interlocutor" [10] que Jérôme Lagouanère avait attribué auparavant au païen.

Ecaterina Lung cherche quant à elle à illustrer la question de l'identité à partir de l'étude d'un corpus représentatif d'historiens du vie siècle, pour aboutir à la conclusion quand même un peu attendue, selon laquelle l'écriture historique serait pour partie influencée par l'attachement de son auteur à telle ou telle confession religieuse, en particulier quand il traite de religion.

A travers l'étude du culte rendu au Sol inuictus à Aquæ Iasæ, Branka Migotii tente de montrer que Constantin fit plus preuve de clémence en matière religieuse dans la partie occidentale de l'empire que dans sa partie orientale, son règne ayant été globalement marqué par une attitude syncrétique, même si sa volonté de protéger le christianisme est indéniable dès 313: il est dommage qu'il ne soit fait à aucun moment référence à l'étude magistrale de Paul Veyne sur cette question, [11] l'article ne montrant finalement rien d'autre que le réemploi d'une basilique thermale en église chrétienne sous le règne de Constantin, alors que se maintenait le culte au Sol inuictus dans le Capitolium.

Partant de la lettre de mission adressée en juillet 601 par Grégoire le Grand à Mellitus, Miriam Adan Jones analyse la façon dont l'Église envisagea la question de la conversion des païens, à propos du cas anglo-saxon. Le projet de Grégoire le Grand était à la fois d'opérer une coupure franche en vidant les sanctuaires païens de leurs idoles avant de les transformer en églises, tout en amenant progressivement les païens eux-mêmes à s'approprier la religion chrétienne, fut-ce au prix d'accommodements et de transpositions, par exemple en empruntant des éléments à la fête juive des Tabernacles. Miriam Adan Jones résout ainsi l'apparent paradoxe entre l'attitude plus rigide prêchée jusqu'alors envers les païens par le souverain pontife et le changement dont témoigne sa lettre de 601, voyant dans celle-ci l'aboutissement d'une réflexion de Grégoire le Grand sur le processus de conversion, désormais regardé par lui comme "a single, incremental and continuous process, in which progress is driven by divine condescensio" [12]. Finalement, le titre choisi par Miriam Adan Jones pour sa communication paraît assez mal formulé : on ne peut en effet parler ni de "convergence" [13]--le but était bien l'adhésion pleine et entière au christianisme--, ni de "jewish influences" [14]--pour Grégoire le Grand, il ne s'agissait que d'emprunter un modèle à des fins tactiques, pas de se référer au judaïsme ni même d'implanter des pratiques juives.

Commencent alors une série de communications appuyées sur l'étude de faits matériels. C'est-à-partir de l'étude iconographique de lampes en terre-cuite utilisées dans un contexte funéraire ou religieux qu'Edward Schoolman a mesuré le lent et irrémédiable effacement du paganisme sur le pourtour méditerranéen, effacement devenu sensible durant les Ve et VIe siècles. A l'inverse, Hristo Preshlenov a mesuré les progrès décisifs du christianisme à partir de la charnière des IVe et Ve siècles, au débouché du Danube dans la Mer Noire, à travers les sources numismatiques, épigraphiques et hagiographiques.

Ivan Basić estime que la transformation du mausolée de Dioclétien en église chrétienne ne peut pas être regardée comme un événement exceptionnel car elle semble "more utilitarian than symbolic," [15] plus de deux siècles après la mort de l'auguste persécuteur et--pourrait-on ajouter de façon encore plus significative--, deux siècles après l'édit de Thessalonique.

Enfin, deux communications parmi les plus nourries du colloque sont consacrées à l'ensemble cémétérial tardo-antique de Sopianæ: Zsolt Visy y voit "a poignant monument of the transition from, and cohabitation of, paganism and Christianity in the fourth century," [16], tandis qu'Oliver Gábor et Zsuzsa Katona Györ illustrent cette transition par une étude de détail, en faisant apparaître que l'orientation est-ouest des tombes du carré chrétien, situé au nord-ouest du cimetière, se retrouve dans d'autres parties du cimetière, mais a tendance à devenir moins nette à mesure que l'on s'éloigne de ce carré.

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1. Juana Torres, "Rhetoric and Historical Distorsion: The Case of Mark of Arethusa," in Pagans and Christians, 79.

2. Ibid., 69.

3. Monika Pesthy-Simon, "'Imitatio Christi'? Literary Models for Martyrs in Early Christianity," in Pagans and Christians, 96.

4. Levente Nagy, "Ascetic Christianity in Pannonian Martyr Stories," in Pagans and Christians, 97.

5. Józef Grzywaczewski and Daniel Knox, "Glory, Decay and Hope: Goddess 'Roma' in Sidonius Apollinaris' Panegyrics," in Pagans and Christians, 203.

6. Jérôme Lagouanère, "Uses and Meanings of 'Paganus' in the Works of Saint Augustine," in Pagans and Christians, 106.

7. Ibid., 105 et 117 (Jérôme Lagouanère renvoie ici explicitement à la typologie établie par Alan Cameron dans son The Last Pagans of Rome(2010); Ibid., 105.

8. Ibid., 114.

9. Id.

10. Ibid., 109.

11. Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien (312-394) (Paris 2007).

12. Miriam Adan Jones, "Conversion as a Convergence: Gregory the Great Confronting Pagan and Jewish Influences in Anglo-Saxon Christianity," in Pagans and Christians, 163.

13. Ibid., 151.

14. Id.

15. Ivan Basić, "Pagan Tomb to Christian Church: The Case of Diocletian's Mausoleum in Spalatum," in Pagans and Christians, 271.

16. Zsolt Visy, "Christian Topography in Sopianæ Late Antique Cemeteries," in Pagans and Christians, 273.