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17.06.14, Cleaver, Education in Twelfth-Century Art and Architecture

17.06.14, Cleaver, Education in Twelfth-Century Art and Architecture


L'historiographie sur les écoles entre 1100 et 1200, suscité par l'intérêt pour la "Renaissance du XIIe siècle," est particulièrement riche, et l'on ne compte plus les monographies et les actes de colloques qui s'attachent à en préciser l'un des aspects ou à en présenter une synthèse. Parmi cette floraison bibliographique qui découle pour une bonne part du colloque de 1982 (Renaissance and Renewal in the Twelfth Century, éd. R. L. Benson et G. Constable), il faut pourtant reconnaître que la place accordée par les historiens aux objets et aux arts visuels est traditionnellement faible: quelques enluminures de maîtres fameux (Hugues de Saint-Victor, Gilbert de Poitiers ou Pierre Lombard) sont utilisées pour illustrer, dans le meilleur des cas, une réflexion sur l'autorité magistrale et sa figuration. L'intérêt légitime pour la documentation textuelle tend donc à cantonner les autres sources à un rôle figuratif, quand elles ne sont pas purement et simplement passées sous silence. Quant aux historiens d'art, au moins depuis Émile Mâle et son article fameux de 1891 sur "Les arts libéraux dans la statuaire du moyen âge," ils sont conscients des ressources qu'offrent les arts visuels pour écrire l'histoire de l'éducation médiévale. Cependant, écartelés qu'ils sont souvent entre l'approche monographique et le grand récit à la Panofsky, ils peinent à donner de l'intelligibilité à une production artistique multiforme et d'interprétation délicate, dans le détail comme dans son ensemble. En abordant résolument les arts visuels comme un corpus cohérent et en le soumettant à une problématique historique, Laura Cleaver rompt avec brio le splendide isolement dans lequel se sont trop souvent respectivement cantonnées histoire et histoire de l'art. Avec ce livre tiré d'une recherche commencée en 2004 et soutenue pour l'obtention du doctorat, l'auteure propose ainsi une synthèse inédite et forte sur la place de l'éducation dans les arts et l'architecture du XIIe siècle.

La méthode de Laura Cleaver a consisté à rassembler la documentation visuelle disponible sur le savoir et l'éducation entre les années 1100 et 1220 selon une géographie qui privilégie--et ce logiquement, compte tenu des conditions de la "Renaissance du XIIe siècle"--l'espace français actuel. Il s'agit au premier chef de manuscrits contenant des représentations des sept arts libéraux, de maîtres et de scènes d'enseignement (quelque 107 manuscrits sont ainsi recensés dans l'état des sources aux pp. 200-202), mais aussi de détails d'architecture religieuse (principalement des tympans et chapiteaux souvent connus et commentés de longue date, tels que ceux de Sens, Chartres, Laon, Reims...), et même quelques objets, comme un très remarquable couvercle de chauffe-main: actuellement conservé au musée de Cluny à Paris, il est gravé de trois allégories représentant les arts du trivium (figure 8, p. 33). Cet ensemble a été mis en rapport avec les sources écrites du temps, des plus fameuses (Didascalicon d'Hugues de Saint-Victor, Historia calamitatum de Pierre Abélard ou encore Metalogicon de Jean de Salisbury) aux plus confidentielles (l'on pense par exemple aux lettres publiées jadis par l'archiviste Lucien Merlet dans la Bibliothèque de l'école des chartes de 1855, pp. 443-471, et qui donnent des renseignements pratiques très précieux sur les conditions d'enseignement dans les premières décennies du XIIe siècle). Ce rapprochement entre sources de nature et de provenance variées est servi par une connaissance précise de l'historiographie du sujet, qui profite des synthèses classiques (Émile Lesne, Philippe Delhaye et Richard Southern) comme des apports de recherches plus récentes (Constant Mews, Alex Novikoff et Mia Münster-Swendsen; il est seulement regrettable, dès lors que certains travaux en allemand sont cités, d'avoir omis la grande thèse de Sita Steckel: Kulturen des Lehrens im Früh- und Hochmittelalter. Autorität, Wissenskonzepte und Netzwerke von Gelehrten [Köln/Weimar/Wien: Böhlau Verlag, 2011]).

L'ouvrage progresse de manière logique en présentant les conditions générales de l'éducation au XIIe siècle avant d'en venir aux branches particulières du savoir, en huit chapitres d'une remarquable clarté. Ainsi le chapitre 1, qui sert comme de tympan au reste de l'ouvrage, est-il consacré aux représentations des arts libéraux aussi bien dans les manuscrits que dans l'architecture: comme le souligne Laura Cleaver, le but des artistes et de leurs commanditaires n'est pas de refléter le cursus pédagogique alors en vigueur, mais de rendre compte de la place des arts profanes dans l'économie du savoir chrétien. En magnifiant la connaissance et la cohérence des sept arts libéraux sur le parchemin comme dans la pierre, ces représentations participent d'une valorisation de milieux scolaires alors en pleine expansion: l'insistance sur les conditions pratiques de travail intellectuel nous vaut sans doute parmi les meilleures pages du livre (p. 16-25), car l'auteure y a rassemblé des renseignements souvent épars et lacunaires sur le fonctionnement matériel des écoles. Il me semble d'ailleurs que ce premier chapitre mérite d'être lu en parallèle avec le chapitre 5 sur l'image du maître. La place faite aux auteurs victorins (Godefroid et Hugues; ce qui est dit de ce dernier gagnerait d'ailleurs à être comparé aux indications apportées par Patrice Sicard dans son monumental Iter victorinum. La tradition manuscrite des œuvres de Hugues et Richard de Saint-Victor [Turnhout: Brepols, 2015], p. 71-74) comme aux maîtres des écoles urbaines (Pierre Lombard et Gilbert de Poitiers) permet de bien resituer les enjeux pratiques et idéologiques de la représentation magistrale (le plus souvent et de manière significative un "théologien," à l'exception notable d'Adam du Petit-Pont): peindre le maître en reprenant les canons picturaux utilisés pour les Pères, c'est assurer le rayonnement de sa fama, dans un contexte de concurrence parfois féroce et de vives controverses qui conduisent certains professeurs à répondre de leur enseignement devant le juge ecclésiastique. À cet égard, l'absence de représentation de maîtres pourtant attendus, à l'instar de Pierre Abélard, est à juste titre soulignée, même s'il n'est pas aisé d'expliquer les raisons de cette damnatio picturae. Le reste du curriculum scolaire est examiné dans les autres chapitres. Le chapitre 2 s'intéresse ainsi à la grammaire en décrivant les scènes d'apprentissage de la lecture et de l'écriture, telles qu'elles apparaissent notamment dans l'art du vitrail à l'occasion de cycles hagiographiques. Dans une ambiance typiquement augustinienne, le savoir profane est considéré comme le premier barreau d'une échelle menant à la théologie. Une fonction plus critique est mise au jour dans le chapitre 3 qui est consacré aux représentations ludiques: ânes musiciens, ours et loups remplissent une fonction normative et sont figurés dans les manuscrits et la sculpture pour mettre en garde élèves et maîtres contre un usage inapproprié du savoir. Quant aux chapitres 4, 6, 7 et 8, ils sont respectivement consacrés à la logique (rhétorique et dialectique), à la musique, à l'arithmétique et à la géométrie (qui sont examinées ensemble) et, enfin, à l'astronomie. Sans pouvoir, dans le présent cadre, analyser en détail le contenu de ces chapitres, signalons que Laura Cleaver y emploie avec bonheur une méthode efficace qui consiste à confronter les représentations figurées au curriculum scolaire du temps (textes anciennement reçus et œuvres plus récentes). De ces pages se dégage la conclusion que les artistes insistent sur la part pratique notamment dans la figuration du quadrivium, peut-être comme l'écrit l'auteure parce que ces représentations étaient à portée de vue du plus grand nombre (notamment dans la conclusion p. 199); sans doute aussi en raison d'une conception allégorique du savoir, qui favorise de facto le recours à un élément concret lorsqu'il s'agit de passer à la représentation matérielle. En invitant sans cesse à cet aller-retour entre art visuel et autorité textuelle, le livre de Laura Cleaver permet de saisir, dans toute sa richesse, une bonne part de la culture visuelle du XIIe siècle.

Il convient aussi de noter que le livre ménage la place attendue aux illustrations, toujours opportunément placées en regard du texte dont elles soutiennent les analyses. Signalons également la très belle qualité des sept planches en couleur qui reproduisent des feuillets de manuscrits remarquables par leur qualité et leur sujet (des figurations du trivium, une scène de débat, Hugues de Saint-Victor, Gilbert de Poitiers et ses élèves, Pythagore, un astronome...).

L'ouvrage, bien que soigneusement édité d'un point de vue typographique, présente quelques imperfections, car l'auteure, historienne de l'art plus que philologue et paléographe, n'a sans doute pas passé suffisamment de temps sous la férule de Grammatica... Sans prétention à l'exhaustivité, signalons qu'il faut ajouter id est après poetriam (p. 13, n. 18, comme le porte d'ailleurs la figure 3, p. 12) ; p. 32, n. 114, il faut lire prudens et non pudens ; p. 32, n. 116, subdo mihi gentes et non sub do mi ; p. 38, n. 6, il faut ponctuer ainsi : per me quis discit, vox littera syllaba quid sit (et par conséquent, il convient de revoir la traduction anglaise qui est fautive) ; p. 64, n. 4, excludunt et non excludaunt ; p. 97, male dicit et bene dicit et non maledicti et benedicti ; p. 97, n. 44, tout le début de la transcription est fautif, car à la place de Ora cum dono dona, amen. Redissereno [sic!], il faut lire: Omnia cum Domino / dona redisse suo, amen ("tous les dons sont revenus avec leur Seigneur, amen"), extrait de l'hymne bien connue Salve festa dies, en usage au Moyen Âge dans la liturgie pascale (ce qui fragilise l'interprétation proposée aux pp. 97-98, car ces ajouts textuels me semblent déconnectés des images) ; p. 118, n. 28, non et non nor ; p. 119, n. 34, conventu et non conventur ; p. 127, n. 66, attentis et non altentis ; p. 134, n. 18, malleolorum et non malleorum ; p. 169, n. 71, terrarum et non terrarium ; p. 180, n. 8, doctores et pas doctors ; p. 181, n. 11, il faut lire astra (le feuillet reproduit porte clairement la lettre "a" suscrite) et pas astrum, etc.

Ces scories mises à part, l'ouvrage tient ses promesses et se présente comme le livre que les historiens et historiens de l'art attendaient sur le sujet: il offrira désormais matière à réflexion à tous ceux que l'histoire de l'éducation médiévale intéresse.