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16.10.26, Le Deschault de Monredon, Le décor peint de la maison médiévale

16.10.26, Le Deschault de Monredon, Le décor peint de la maison médiévale


La publication de la thèse de doctorat de Térence Le Deschault de Monredon était très attendue, non seulement en raison du difficile et passionnant sujet auquel il s'est attelé, mais aussi parce que les articles qui en avaient donné un aperçu laissaient augurer du meilleur. Il est particulièrement réjouissant que les décors peints conservés dans des maisons médiévales sur un territoire aussi large que la France actuelle aient fait l'objet d'une étude globale, surtout lorsqu'on connaît l'absence de corpus des peintures murales en France. Quiconque s'intéresse à ce type d'œuvre doit commencer par réunir patiemment des informations éparses, non seulement dans des publications plus ou moins accessibles mais aussi auprès d'institutions diverses, voire in situ. Dans l'ouvrage de Térence Le Deschault de Monredon, le résultat de cette collation est présenté en annexe de façon commode et synthétique par une suite de fiches, accompagnée d'une carte de France avec la répartition des sites. Ce corpus riche de cinquante-cinq œuvres ne rend néanmoins pas compte de la totalité des vestiges de peintures murales dans des maisons médiévales avant 1350, mais plutôt de la proportion de ces décors contenant des images figurées, l'auteur ayant d'emblée écarté les ensembles exclusivement décoratifs comme peu signifiants (21-22). Ce choix est regrettable dans l'absolu puisqu'il gomme de notre compréhension non seulement un nombre important de revêtements peints, mais aussi des éléments visuels majeurs cohabitant avec les images. Mieux prendre en compte l'absence d'images figuratives dans le décor aurait certainement permis, paradoxalement, de leur donner une place plus juste. Néanmoins, il se comprend dans la mesure où il fallait circonscrire un sujet déjà fort large.

Face à ce corpus d'œuvres mal connues, souvent mal conservées ou abusivement restaurées, Térence Le Deschault de Monredon a choisi de centrer sa problématique autour du message porté par les images. Il n'oublie pourtant pas d'évoquer les autres aspects traditionnels pour l'histoire de l'art, à savoir le style, la datation et dans une moindre mesure la géographie, la technique et la répartition des décors dans l'habitat. Ses analyses se fondent sur une étude approfondie des vestiges en place, bien qu'il soit dommage qu'il n'ait pas pu tous les appréhender in situ, ainsi que sur des textes médiévaux, tant ceux rapportables aux décors préservés que ceux concernant les décors disparus (en particulier les comptes de Mahaut d'Artois pour son hôtel de Conflans-l'Archevêque et ceux des travaux de Jean de Normandie, futur Jean le Bon, dans son château du Vaudreuil), sans oublier la littérature romanesque. Tout en optant pour un plan thématique, il donne la part belle à une étude de cas, celui de Pernes-les-Fontaines (Vaucluse).

La première partie, incluant les trois premiers chapitres, pose le cadre de l'étude. Le premier chapitre semble surtout destiné à mentionner les thématiques peu approfondies ou exclues de l'ouvrage, telles les questions techniques et matérielles, dont l'auteur n'est manifestement pas familier, les décors non-figuratifs, les ensembles exclusivement héraldiques, pourtant si fréquents, et les plafonds peints, qui sont néanmoins pris en compte chaque fois qu'ils cohabitent avec des décors muraux. Vient ensuite une courte partie définissant la nature et l'organisation du cadre architectural choisi, soulignant que les décors figurés se rencontrent dans quasiment tous les types d'espace, contrairement au lieu commun qui tend à suggérer qu'ils se situeraient de préférence dans l'aula. Le troisième chapitre, enfin, présente les principaux cadres de l'image, en particulier les frontons au sommet des murs pignons des grandes salles qui accueillent si souvent des cavaliers affrontés, les frises et les différents types de quadrilobes, ainsi que les médaillons que l'auteur rapproche des tissus orientaux mais aussi, lorsque qu'ils contiennent des cavaliers en armes, des sceaux.

La deuxième partie, soit les chapitres 4 et 5, est entièrement consacrée à l'étude du plus riche des décors conservés dans une maison, celui situé à l'étage sommital de la tour Ferrande à Pernes-les-Fontaines. S'appuyant sur un état de la question critique, l'auteur complète la lecture des épisodes grâce à son observation de détails passés inaperçus jusqu'alors et donne une nouvelle interprétation de cet ensemble complexe mêlant scènes historiques, références littéraires, exaltation de la lignée et images religieuses. La conception de ce décor est attribuée à Barral II des Baux et datée de façon convaincante entre 1323 et 1331. La récurrence de scènes de jugement ou sous-entendant le rétablissement de la justice permet à Térence Le Deschault de Monredon de proposer pour cette pièce une fonction judiciaire que la présence de casiers bâtis et peints vient conforter. Ce n'est pas là le moindre de ses mérites, d'autant qu'il avait souligné auparavant le caractère "hasardeux" (32) de la mise en relation d'un décor avec la fonction de l'espace qui l'accueille. Outre que cet ensemble méritait entièrement cette place de pivot dans la structure de l'ouvrage, il donne l'occasion à l'auteur d'introduire la plupart des grandes thématiques qui se développent dans les autres maisons, explorées dans la troisième partie.

Il y apparaît ainsi que les images guerrières, auxquelles le chapitre 6 est consacré, sont les plus nombreuses et reflètent la fonction première des propriétaires des lieux, le plus souvent des chevaliers. S'appuyant sur la place qu'occupe le combat dans la société du XIe au XIVe siècle, variable selon qu'il se déroule dans le contexte d'une guerre féodale, d'une croisade-- permettant l'intégration des valeurs chevalières et chrétiennes--ou d'une joute--ces jeux ayant été pratiqués en dépit d'une interdiction de l'Église ayant eu cours de 1130 à 1316, Térence Le Deschault de Monredon retrace l'évolution iconographique des décors, d'abord consacrés plutôt aux croisades et aux guerres contre l'infidèle avant le milieu du XIIIe siècle (Carcassonne, Amboise, Le Puy-en-Velay, Gaillac), puis majoritairement aux tournois. Apparues dès le deuxième quart du XIIIe siècle, ces représentations font intervenir des mêlées, comme à Moissac vers le milieu du siècle, puis, à partir des années 1270, exclusivement des joutes dont aucun des combattants n'est montré vainqueur, sauf lorsque le vaincu n'est pas chrétien. Lorsque les lances sont visibles, elles sont en outre souvent munies d'un rochet témoignant qu'il s'agit d'un combat à lances courtoises (ainsi à Vinzelles). Lorsque les armoiries permettent d'identifier les combattants, elles font généralement référence à des nobles plus puissants que le commanditaire plutôt que de mettre en scène ce dernier. La présence de femmes, parfois en position du héraut d'armes comme sur la cheminée du château de Theys, donne à l'auteur l'occasion d'explorer la dimension courtoise des joutes, qui se traduit aussi par l'ajout d'éléments secondaires, tels des animaux ou des hybrides rappelant les images marginales. La dimension guerrière--et courtoise--des images s'exprime aussi à travers des illustrations de romans, telles celles de Theys, de Vienne ainsi que de Cruet, auquel l'auteur consacre un important développement et qu'il propose d'identifier comme une illustration de la chanson de geste Girart de Vienne due à Bertrand de Bar-sur-Aube. [1]

Les thèmes non guerriers du chapitre 7, bien que moins nombreux, sont assez variés. Térence Le Deschault de Monredon y classe la chasse, qui n'est pas sans entretenir des rapports avec les activités guerrières en ce qu'elles procurent une activité physique et, pour la chasse à courre du moins, permettent d'afficher le statut social élevé (ou voulu comme tel) du commanditaire. Les représentations de chasse au vol, quant à elles, n'apparaissent jamais seules avant les années 1340. Un personnage tenant un faucon au poing doit plutôt être compris comme évoquant le mode de vie courtois (maison Mompar à Viviers) voire les relations amoureuses (Villefranche-de-Rouergue). C'est aussi une tonalité nettement courtoise que revêtent les images de musiciens comme celles de la maison strasbourgeoise appelée "droguerie du Serpent," situées dans les ébrasements de fenêtres munies de coussièges. Les exemples de danse, plus rares, semblent ne devenir en vogue qu'au XIVe siècle. Quelques joueurs de musique interviennent dans des scènes de combat, dans ce cas avec des instruments puissants comme la trompette naturelle. Néanmoins, l'auteur souligne les nuances à apporter à l'interprétation des instruments, rappelant que le cor, aussi retentissant soit-il, est sonné dans un contexte de chasse et considéré comme incongru lors d'une bataille, comme en témoigne l'épisode de Roland appelant à l'aide Charlemagne lors de la bataille de Roncevaux, tel qu'il est représenté à Cruet. Quant aux représentations typiquement courtoises de la fine amor, si seules celles de la tour d'Arlet à Caussade peuvent être considérées comme explicites, d'autres contiennent des allusions à peine voilées comme dans la maison forte des Loives à Roybon, où saint Georges secourant la princesse de Trébizonde sur l'un des pignons de l'aula ne peut guère être compris comme une simple image hagiographique vu que le couple est accompagné d'un lévrier coursant un lapin, saynète dont l'allusion érotique était bien connue au Moyen Âge. Dans un autre registre, les images religieuses sont fort peu nombreuses et se résument à deux cycles de la vie de saints laïques et à quelques exemples de scènes bibliques. Il est cependant curieux que deux Christ en Majesté, celui de l'hôtel Gamanson à Périgueux et celui de la tour de Beaugency, mentionnés dans la dernière partie de l'ouvrage, n'aient pas trouvé leur place dans ce chapitre. Les allégories, enfin, restent rares et généralement associées à un propriétaire dont le statut de clerc explique une certaine érudition.

Le chapitre 8 traduit la volonté de Térence Le Deschault de Monredon de pallier la non-représentativité probable des vestiges, étant donné l'ampleur des pertes dans un contexte bâti encore plus sujet aux modifications que les églises, en donnant un aperçu des thèmes absents des vestiges français mais conservés dans des maisons des pays limitrophes. Il s'agit principalement de scènes allégoriques--la roue de Fortune, les occupations des mois de l'année et les signes du zodiaque, ainsi que d'épisodes de l'Ancien Testament.

Cette troisième partie atteint le but que l'auteur s'était fixé, celui de "définir les différentes thématiques abordées par ces œuvres figuratives" (15). Pourtant, la classification des sujets est dans certains cas relativement artificielle et l'oblige à des rappels multiples pour souligner les cohabitations et les interférences. Certains sites se prêteraient ainsi à une interprétation complexe, comme la tour d'Arlet à Caussade et la tour Palmata à Gaillac. Pour compenser le morcèlement de l'étude de ces décors, l'auteur s'applique à établir des liens entre les différents thèmes et à rappeler chaque fois des éléments de contexte. Probablement ce choix organisationnel était-il le plus pertinent pour le corpus considéré, dans la mesure où il permet à la fois de mettre en exergue quelques décors particulièrement riches et d'exploiter au mieux d'autres plus fragmentaires en n'en gardant que les aspects les plus intéressants et en laissant dans l'ombre des questions paraissant à ce jour insolubles.

La dernière partie de l'ouvrage est un essai de chronologie. Là encore, la datation de tous les décors du corpus est abordée de façon globale et thématique. Chacun des éléments pouvant contribuer à établir une datation est présenté sous un angle méthodologique clair et abondamment illustré. Sur l'armement et le costume, Térence Le Deschault de Monredon se lance même dans une didactique synthèse des connaissances. Étant donné la difficulté fréquente de proposer des datations précises pour des œuvres mal conservées et mal documentées, on ne peut que louer l'honnêteté de l'approche. Les spécialistes voudront malgré tout débattre de quelques partis-pris: ainsi, est-il prudent d'affirmer qu'il est "invraisemblable...que les propriétaires aient vécu dans des espaces dépourvus de décor peint" (258) et de considérer par conséquent qu'une datation par dendrochronologie pèse davantage qu'un simple terminus post quem?

À travers les thèmes iconographiques et la datation, c'est aussi, en filigrane, la commande qu'étudie Térence Le Deschault de Monredon. Si les décors figuratifs conservés ont tous été voulus par des hommes appartenant à une catégorie sociale supérieure, les choix diffèrent selon que les commanditaires sont chevaliers ou clercs, la deuxième catégorie, plus érudite, semblant seule avoir souhaité orner sa demeure de décors allégoriques ou savants. L'exemple du palais des papes à Avignon, selon la lecture récente reprise de Jean-Pierre Caillet, en est l'exemple le plus éclatant. [2] Néanmoins, la frontière reste fluide puisque des thèmes chevaleresques et courtois s'observent aussi dans les demeures du haut clergé séculier dont les origines sont identiques à celles des nobles. Une autre conclusion majeure de l'étude est le rôle de modèle souvent joué par les personnages représentés: aucun décor ne contient de portraits contemporains, mais plutôt des personnages d'un rang supérieur, parfois des ancêtres, destinés à inspirer le commanditaire et à faire rejaillir son prestige sur la maison.

Térence Le Deschault de Monredon offre donc la première vision à la fois globale et détaillée des vestiges de peintures murales exécutées dans l'habitat en France pendant environ deux siècles et demi, du début du XIIe au milieu du XIVe siècle. Il a réussi à produire un ouvrage richement illustré et documenté, que l'on ne peut que conseiller de mettre entre toutes les mains: la richesse du propos satisfera le chercheur, son didactisme l'étudiant, et sa clarté l'amateur curieux.

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Notes:

1. Cette nouvelle interprétation a déjà été publiée dans un article récent: Térence Le Deschault de Monredon, "Le cycle peint du château de Cruet (Savoie, vers 1307): une représentation du roman de Girart de Vienne ?" Bulletin Monumental 171-2 (2013): 107-116.

2. Jean-Pierre Caillet, "Rinceaux, cages et chasses: les éventuelles résurgences de symboles paléochrétiens au palais des papes d'Avignon," in "Tout le temps du Veneour est sanz oyseuseté," Mélanges offerts à Yves Christe pour son 65ème anniversaire, ed. Christine Hediger (Turnhout: Brepols, 2005), 25-32.