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16.10.07, Malone and Maines, eds., Consuetudines et Regulae

16.10.07, Malone and Maines, eds., Consuetudines et Regulae


Le dixième volume de la collection "Disciplina Monastica" contient les actes d'un colloque organisé en juin 2007 au château de la Bretesche et qui s'était donné pour objet d'étudier la vie des moines et des chanoines réguliers d'Europe occidentale à travers l'interprétation combinée de sources textuelles (en l'occurrence, surtout des règles et des coutumiers) et des données issues de l'archéologie, notamment architecturale.

Après une introduction (15-23), due aux éditeurs, qui brosse à grands traits les différents champs exploités dans le recueil et synthétise clairement les multiples rapports entretenus entre, d'un côté, les coutumiers et autres textes similaires, compris comme rédaction écrite de traditions orales et de pratiques quotidiennes, et, de l'autre, des domaines aussi variés que la liturgie, la production artistique, l'architecture, ainsi que, en général, la vie monastique et canoniale, l'ouvrage se divise en trois parties égales, dont chacune aborde la source choisie sous un angle différent. Pour le nombre et l'importance de ses coutumiers encore conservés (quatre antérieurs à 1100), on comprendra que l'abbaye de Cluny tienne une place de choix: elle est étudiée dans plus de la moitié des contributions.

Dans une première partie, intitulée "Customary Texts as Sources for Monastic Life", sont rassemblées trois contributions qui mettent bien en évidence, chacune selon ses intérêts propres, le statut particulier du "coutumier", qui n'est en rien similaire à la "règle". Isabelle Cochelin ("Customaries As Inspirational Sources" [27-72]) s'intéresse aux plus anciens coutumiers connus pour étudier l'usage qui en a été fait dès l'origine. Elle démontre qu'avant le XIe siècle, les coutumiers ne sont pas rédigés pour apporter supplementa ou corrigenda à la règle; leur raison d'être n'est pas d'imposer une norme, quelle qu'elle soit, mais uniquement de recueillir, par la description d'une communauté donnée, un témoignage de modus vivendi susceptible d'être imité en d'autres lieux: la preuve en est qu'avant 1100 les coutumiers ne sont pas utilisés dans les monastères dont ils décrivent les coutumes, mais sont même préparés pour être envoyés à d'autres communautés éloignées. Cet aspect non normatif rapprocherait donc les coutumiers des vies de saints plutôt que des règles.

C'est ainsi que peuvent être envisagés les quatre coutumiers de l'abbaye de Cluny: l'étude de Catherine Bonnin-Magne, "Les coutumiers, témoins de la fixation et de la diffusion du sanctoral clunisien" (73-103) constitue un bel exemple de l'exploitation de ces documents du point de vue liturgique: en étudiant en particulier les modifications apportées lors de l'arrivée d'un coutumier dans une nouvelle abbaye de l'ordre (Saint-Martial de Limoges, San Benedetto di Polirone), l'auteur démontre à la fois quel a été le rôle des coutumiers dans le développement et la diffusion du sanctoral de Cluny, et à l'inverse comment la coutume a pu être transmise par le biais du sanctoral. Si l'entrée de tel prieuré dans l'Ecclesia Cluniacensis suppose l'adoption du sanctoral qui est celui de l'abbaye-mère, on note que cette uniformisation voulue par la réforme clunisienne laisse toutefois une certaine autonomie, perceptible dans l'ajout de traditions et de cultes locaux; c'est surtout au tournant du XIIe siècle que le coutumier (surtout celui de Bernard) apparaît véritablement comme l'un des plus sûrs moyens de normalisation mis au service de la "clunification" des abbayes et prieurés. Autre indice de cette dimension non pas tant prescriptive que descriptive des coutumiers, le titre même des Constitutiones Hirsaugienses, dont l'édition a paru entre-temps (en 2010, dans le Corpus consuetudinum monasticarum). Dans l'article préparatoire ici publié ("Editing William of Hirsau's Constitutiones Hirsaugienses" [105-114]), l'éditeur, Pius Engelbert, souligne comme il se doit que le titre de Constitutiones, conservé pour respecter la tradition historiographique, ne se trouve pas, en réalité, dans les témoins manuscrits du texte, qui portent, eux, celui de Liber consuetudinum (auquel, d'ailleurs, plusieurs manuscrits du Moyen Âge tardif ont ajouté l'adjectif clunacensium).

C'est la deuxième partie, "Customary Texts and Monastic Architecture", qui replace véritablement les types de textes dont il vient d'être question dans leur rapport, tout matériel, avec l'organisation de la vie communautaire, et en particulier avec la liturgie. Elle illustre on ne peut mieux les apports des fouilles archéologiques à notre connaissance de la pratique du rite. Le premier exemple, développé par Anne Baud et Christian Sapin, est celui de l'abbaye de Cluny: "L'abbaye de Cluny, entre architecture et liturgie au XIe siècle" (117-135). Les deux auteurs ont cherché à reconstituer l'état du claustrum, dont il ne reste plus de trace actuellement, tel qu'il était dans la première moitié du XIe siècle (à l'époque d'Odilon et de la rédaction du Liber tramitis): le croisement des données archéologiques (de première main ou issues d'une relecture des rapports de fouilles de Kenneth John Conant) et des indications fournies par le Liber tramitis permet de contester la valeur de témoignage fiable longtemps accordée à celui-ci pour en faire surtout une simple introduction au parcours liturgique établi sur le modèle de la procession dominicale. Une approche semblable a conduit Carolyn Marino Malone ("Customaries As Evidence for Interpreting Saint-Bénigne in Dijon as an Unusual Liturgical Frame" [137-174]), à recourir, au sujet de Saint-Bénigne, aux trois coutumiers qu'on a conservés pour comprendre comment l'évolution architecturale de la basilique et des rotondes, construites à partir de 1001 et achevées entre 1016 et 1018, a réussi à mettre en valeur la liturgie: les trois coutumiers, qui donnent une description de la liturgie telle qu'elle était pratiquée au début du XIe siècle, viennent ainsi compléter le témoignage de la chronique, bien plus tardive, et donnent les moyens de comprendre que les derniers aménagements étaient destinés à souligner le chemin de la procession et à signifier, par des jeux de lumière associant l’autel de la Trinité au maître-autel ou à celui de la Vierge, le rapport théologique entre la Trinité et l’Incarnation. L'exploitation des coutumiers peut également se révéler utile pour l'appréhension de sources perdues et l'étude de l'usage réel accordé à ce type de livre. Sous une double signature déjà bien connue, s'agissant de Saint-Jean-des-Vignes, Sheila Bonde et Clark Maines, "Consuetudines in Context: Change and Continuity in the Customs and Architecture of Augustinian Saint-Jean-des-Vignes, Soissons, 1098-1783" (175-267) proposent, pour finir, une étude de plusieurs coutumiers, s'étendant du XIe au XVIIIe siècle, qui met bien en lumière l'écart important que l'on peut observer entre les témoignages écrits et la réalité matérielle: par un souci de conservatisme, les chanoines ont tenu à respecter toujours, sans la moindre altération, les anciennes versions de leurs coutumiers, devenues nécessairement caduques à mesure que les pratiques liturgiques évoluaient et que l'édifice subissait certains réaménagements architecturaux. La richesse de la documentation peut, à cet égard, s'avérer d'une aide précieuse, lorsque la confrontation de différentes versions permet de reconstituer certains rituels perdus.

La troisième et dernière partie s'intéresse, quant à elle, sous le titre plus général "Monastic and Regular Life as Revealed in Customs, Rules, and Other Texts", à la vie même des communautés monastiques et canoniales, telle qu'elle est retraçable à travers les types de textes qui sont l'objet de ce recueil. Poursuivant ses recherches sur les rapports qu'entretiennent l'art, la liturgie et les cinq sens (voir les titres mentionnés dans la bibliographie, p. 271, n. 4, auxquels il faut ajouter deux ouvrages, parus depuis: L'invention chrétienne des cinq sens dans la liturgie et l'art au Moyen Âge, Paris, 2014, et Les cinq sens au Moyen Âge, Paris, 2016), Éric Palazzo s'arrête plus particulièrement ici au cas des monastères: "Les cinq sens dans la liturgie monastique du haut Moyen Âge" (271-290). Les témoignages concordants de différentes sources--écrits théologiques, Regula Benedicti, coutumiers, ainsi que surtout les Visions, qui prennent une part de plus en plus essentielle à l'époque envisagée--invitent à voir dans la liturgie une véritable "synthèse des arts". Si les coutumiers ne contiennent que quelques allusions aux sens, ils laissent entrevoir comment on pouvait être amené à les solliciter dans les rituels. La comparaison opérée ensuite par Alain Rauwel avec les établissements canoniaux ("Le choix de la régularité. Observations sur l'adoption de la Règle de saint Augustin dans les diocèses de Langres et Autun au XIIe siècle" [291-303]) montre avec la plus grande clarté, à partir notamment de l'exemple du cartulaire de Saint-Étienne de Dijon, que le mouvement canonial ne saurait être regardé comme une alternative à la réforme monastique, mais qu'il constitue, en réalité, un autre versant du même ensemble. La dernière contribution, due à Bert Roest, se penche, quant à elle, sur les "Rules, Customs, and Constitutions within the Medieval Order of Poor Clares" (305-330). Les clarisses offrent, en effet, l'exemple d'un ordre qui n'a jamais été unifié autour d'une règle proprement dite, mais qui a été façonné successivement par plusieurs types d'observance religieuse. La Règle de Claire, datée de 1253, qui intégrait déjà, par exemple, la forma vivendi préparée par saint François ou la Regula bullata et devait être complétée ensuite par de nombreuses admonitions (Observantiae regulares) n'a été officiellement approuvée que pour la communauté de San Damiano; elle se diffusera cependant dans de nombreuses maisons de l'ordre, sans que, pour autant, réussir à assurer l'unification complète de l'Ordo sanctae Clarae: les diverses tentatives de réforme et d'unification, parties d'Espagne (Tordesillas) ou incarnées par les constitutiones de Colette, recluse de Corbie, se succèderont jusqu'à l'époque moderne, sans jamais réussir à faire adopter par tous un même ensemble de textes législatifs.

La stricte définition du sujet traité a permis aux éditeurs d'accompagner le texte de ces contributions d'une très riche bibliographie générale (331-364), qui vient renforcer la cohérence de l'ouvrage. Voilà, en somme, un beau recueil, d'une présentation presque impeccable, dont on ne peut que saluer la parution, même plusieurs années après la tenue du colloque, pour l'approche nouvelle qu'il adopte et qui laisse entrevoir la richesse de travaux collectifs et interdisciplinaires concentrés sur un même objet d'étude.