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16.05.18, De Nie, ed. and trans., Gregory of Tours: Lives and Miracles

16.05.18, De Nie, ed. and trans., Gregory of Tours: Lives and Miracles


Le chercheur francophone a de quoi envier son collègue anglophone: trente ans après la publication en traduction anglaise de la Life of the Fathers de Grégoire de Tours par Edward James (Liverpool, 1985), et vingt-deux ans après la traduction anglaise de la relation par le même Grégoire des Miracles de saint Martin et de ceux de saint Julien de Brioude dans le maître livre de Raymond Van Dam (Saints and their Miracles in Late Antique Gaul, Princeton, 1993), voici que paraît, cette fois accompagnée du texte latin, la traduction par Giselle de Nie des trois œuvres hagiographiques majeures de Grégoire de Tours.

Giselle de Nie, qui s'est fait connaître il y a bientôt trente ans par la publication de sa thèse de l'Université d'Utrecht joliment intitulée Views from a Many-Windowed Tower. Studies of Imagination in the Works of Gregory of Tours (Amsterdam, 1987), a multiplié depuis les études sur le fait miraculeux dans l'œuvre de Grégoire de Tours, saisi en particulier à travers le vocabulaire de la relation qu'il en fait dans ses récits hagiographiques. Disciple revendiquée de Peter Brown (ix), l'auteur est tout acquise à l'idée que le premier christianisme a été fortement influencé par l'idéalisme platonicien, en particulier par l'idée de la supériorité de l'esprit sur le corps, et par voie de conséquence par le mépris de celui-ci et du monde sensible. Or Grégoire, rejeton d'une famille sénatoriale qui a donné beaucoup d'évêques à la Gaule franque, et qui fut lui-même évêque métropolitain de Tours de 563 à 594, est porteur de cet héritage: pour lui, le fait miraculeux est l'expression visible d'un pouvoir divin omniprésent, et sa relation témoigne de la perméabilité du divin et du temporel, du spirituel et du matériel.

Pour preuve, les trois recueils qui sont ici publiés, successivement les Vitae patrum (1-298), le De passione et virtutibus sancti Iuliani martyris (299-420), et le De virtutibus sancti Martini episcopi (421-856). Pour l'établissement du texte latin (859-860), qu'on connaît grâce à une tradition manuscrite qui ne remonte pas plus haut que le IXe siècle, Giselle de Nie a préféré utiliser l'édition de Henri Bordier (1856-1862) dans la Collection de la Société de l'histoire de France, qui s'appuie elle-même sur celle de Thierry Ruinart datée de 1699 (!), plutôt que celle que Bruno Krusch a donnée dans les Monumenta Germaniae Historica en 1885: elle dit préférer la première parce qu'elle donne un latin plus classique que la seconde, qui, selon elle, a trop privilégié les leçons et variantes du latin mérovingien qui sont sans doute plus celles des premiers copistes de l'œuvre que de Grégoire lui-même.

La traduction anglaise révèle une grande finesse dans la relation des faits miraculeux, dans la minutie de leur description et dans l'expression de leur charge émotionnelle. Témoin l'index général (920-944), où, aux côtés des noms de personnes et de lieux, on trouve des entrées telles que "animals," "cure," "demon," "devil," "dream," "faith," "lust," "plants," "possession," "power," "prayer," "tears," "voices"..., autant de notions qui sont comme une invitation à la recherche. Mais on peut regretter la moindre familiarité de la traductrice avec les réalités sociales de la Gaule post-romaine et proto-mérovingienne, par exemple quand elle traduit puericelli (deux occurrences dans les Miracles de saint Martin, IV ch. 29, p. 820-821) par "little boys." Comme il s'agit ici des compagnons de voyage d'un negotiator (en l'occurrence un marchand de sel), sur la Moselle, on doit plutôt penser qu'il s'agit de ses serviteurs, voire de ses esclaves--un sens qui était alors devenu courant dans l'emploi des mots pueri ou puericelli.