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10.05.06, Adams, ed., Caxton's The Game and Playe of the Chesse

10.05.06, Adams, ed., Caxton's The Game and Playe of the Chesse


En 1531 dans The Book named the Gouvernour, Sir Thomas Elyot écrit à propos des échecs: Et ce jeu est le plus à recommander et il l'est encore davantage si les joueurs ont lu la moralisation des échecs et s'ils y réfléchissent quand ils jouent. Le traité du dominicain Jacques de Cessoles consacré à la moralisation du jeu d'échecs fut rédigé en Italie vers la fin du XIIIe siècle. Il connut à la fin du Moyen Age un succès exceptionnel puisque ce sont près de deux cents manuscrits au total (dont quatre vingt en latin) qui ont été conservés. Il en existe des traductions manuscrites en français, en italien, en allemand, en catalan, en néerlandais, en suédois et en tchèque. Les catalogues en signalent la présence dans les bibliothèques de la plupart des grands princes d'Occident. Il n'est pas étonnant que la technique nouvelle de l'imprimerie l'ait très tôt pris en charge. Tel fut le cas de l'imprimeur William Caxton qui en fournit deux éditions en anglais en 1474 et en 1483, la première version latine imprimée se situant à Milan en 1479.

Jenny Adams, auteur de Power Play. The Literature and Politics of Chess in the Late Middle Ages Philadelphia, 2006, était parfaitement placée pour fournir aujourd'hui la première édition du texte de Caxton. Elle s'acquitte de sa tâche de manière tout à fait consciencieuse, se fondant sur l'édition de 1483, plutôt que sur celle de 1474. William Caxton, homme d'affaires ayant beaucoup voyagé entre l'Angleterre, les Pays-Bas et la France, accomplissant des missions officielles par intermittence, se transforme en éditeur dans les années 1470. Les éditions de 1474 et de 1483 diffèrent uniquement par le prologue et par la présence en 1483 de nombreuses gravures sur bois. Pour traduire son texte Caxton a utilisé les versions françaises de Jean Ferron et Jean de Vignay, respectivement datées de 1347 pour l'une et entre 1332 et 1348 pour l'autre, ne cachant pas sa préférence pour Jean de Vignay. La première édition est dédiée à George, duc de Clarence, le frère du Roi et s'adresse au milieu nobiliaire dans lequel Caxton évolue normalement. C'est un public plus large que paraît rechercher la seconde édition, avec en particulier une attention spéciale à la commune de Londres. J. Adams ne manque pas de mettre cela en rapport avec la situation politique interne du Royaume en cette fin du XVe siècle.

L'édition du texte est particulièrement soignée avec présence des éclaircissements nécessaires par rapport au vocabulaire anglais de l'époque ainsi que de copieuses notes explicatives par rapport aux sources antiques du dominicain italien. J. Adams commet toutefois une erreur lorsqu'elle semble croire sur parole les noms d'auteurs donnés, alors qu'il est patent que Jacques de Cessoles a largement recopié des passages entiers, d'un Vincent de Beauvais par exemple.

Il n'est pas sr qu'il faille voir absolument dans la succession des gravures la reconstitution d'un schéma allant de l'abaissement du Roi à son rétablissement en splendeur, hypothèse que conteste justement J. Adams. De fait l'éditeur du texte ne prend pas assez en compte une donnée essentielle: le choix des échecs comme support pédagogique ne peut laisser les mains entièrement libres à l'auteur du texte et il est quasi impossible de savoir si ce sont les règles du jeu qui imposent des réflexions à l'auteur ou si c'est l'auteur qui parvient à insérer ses idées dans le cadre du jeu sur les soixante--quatre cases. Quelques points demeurent indiscutables et peut-être l'éditeur du texte ne le souligne-t-elle pas assez. Le jeu d'échecs est d'abord le jeu du Roi. Lorsque celui-ci est mort, la partie s'arrête. Le Roi est donc la condition même de l'existence sociale. En même temps le jeu repose sur les solidarités: solidarité verticale comme dans la société féodale et solidarité horizontale comme dans la société bourgeoise et urbaine en plein essor. Il illustre également le vieux principe aristotélicien suivant lequel une chose n'existe que lorsqu'elle est ordonnée. La place des uns et des autres dans cette société est donnée une fois pour toutes. Il en va de même pour les mouvements au sein de cette société qui ne sauraient être remis en question. Autant de points sur lesquels on aurait aimé des passages un peu plus nourris de l'éditrice dans son introduction.

Dire que le jeu d'échecs médiéval ressemble de près au jeu actuel est très inexact. La règle sur laquelle s'appuyait Jacques de Cessoles constitue ce que l'on appelle l'assise lombarde du jeu. Tout cela fut bouleversé par la révolution échiquéenne de la fin du moyen Age et du début du XVIe siècle, révolution pourtant signalée par J. Adams. Désormais les variantes possibles d'une partie se trouvent démultipliées en partie par les transformations des mouvements de la Reine.

Quelques petites maladresses doivent enfin être signalées même si elles n'enlèvent rien à la qualité d'ensemble du travail. Ainsi Jean Ferron devient Jean de Ferron (7) pour devenir ensuite Faron (11). De même l'organisation de la liste des sources et traductions est embrouillée: ainsi on voit A. Collet (éditeur de Jean Ferron) succéder à Cicéron et Claudien! Simples broutilles que tout cela. Nettement plus grave est l'ignorance apparente de l'auteur en ce qui concerne la bibliographie d'Europe occidentale. Deux exemples patents:

* C. Bremont, J. Le Goff et J.-C. Schmitt, L'exemplum, Turnhout: Brepols, 1982.

* O. Ferm et V. Honemann, Chess and Allegory in the Middle Ages, Sällskapet Runica et Mediaevalia, Stockholm, 2005.

L'intérêt majeur de ce travail demeure: il met à la disposition des chercheurs et des amateurs d'échecs, tant dans la dimension concrète du jeu que dans sa vision symbolique et imaginaire un texte essentiel dont n'existaient à ce jour que des fac-similés et vingt quatre éditions originales de 1474 et 1483 (pour la plupart dans des bibliothèques américaines et anglaises).