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07.06.14, Nelson, Holy Images

07.06.14, Nelson, Holy Images


Ce livre est le catalogue d'une exposition d'icônes du monastère de Sainte-Catherine de Sinaï, exposition qui s'est tenue de novembre 2006 à mars 2007 au Musée J. Paul Getty, Los Angeles. Le livre est divisé en trois parties, d'abord cinq articles de synthèse, puis le catalogue proprement qui comprend 61 entrées, rédigées par dix-neuf contributeurs, enfin les annexes usuelles, glossaire--utile surtout pour un public élargi--une abondante bibliographie, des index.

Le premier texte, rédigé par R. S. Nelson, peut être considéré comme une sorte d'introduction, non seulement à l'exposition, mais au monastère lui-même, comme l'indique son titre "Where God walked and Monks pray." Il s'agit d'un texte d'un genre original, qui, sans complaisance, est d'un accès aisé pour un public attendu pour une exposition de cette nature qui va, qui doit aller au-delà du cercle des spécialistes. Mais il faut surtout souligner que ce texte est d'une maîtrise achevée, car, nourri par la profonde connaissance du lieu, de sa signification et de son passé, R. Nelson arrive à faire vivre la montagne et le monastère en mêlant subtilement passé et présent, en mettant continuellement en parallèle, plus exactement en tressant ce que le monument et les sources enseignent sur son passé et les impressions que le visiteur ou le pèlerin contemporain peuvent ressentir. à travers cet exercice, qui s'appuie aussi sur de très belles images, pour la plupart dues à l'auteur lui-même, photographies très parlantes, des paysages, du monastère, en particulier du monastère en action en quelque sorte, photographies prises durant les liturgies, R. Nelson donne à l'étude de l'art byzantin sa véritable dimension qui devrait être de restituer le contexte dans lequel il était actif et la sensibilité qui lui donnait sa prégnance. Celle-ci, on le sait, mais on ne le montre pas assez, est loin de la contemplation esthétique impliquée par la notion d'art ou par celle de musée, ou même par celle d'exposition, paradoxalement, car ce texte est bien l'ouverture d'un catalogue d'exposition. Certes, durant la dernière ou les deux dernières décennies, un certain nombre de spécialistes de l'art byzantin ont été sensibles à cet aspect de l'art byzantin et ont attiré l'attention sur cette dimension d'une perception globale d'un espace en quelque sorte transfiguré. Mais le texte et les images données ici par R. Nelson le rendent sensible au sens le plus fort du mot.

Le deuxième texte a pour objet les icônes anciennes, donc antérieures à l'iconoclasme, conservées au Mont Sinaï. Il s'agit des icônes les plus célèbres et sans doute les mieux connues parmi celles qui y sont conservées. Th. F. Mathews, qui est l'auteur de ce chapitre, reprend un thème qui lui tient à c?ur, à savoir la continuité entre "icônes" païennes et "icônes" chrétiennes. Il n'est pas possible de traiter cette question à fond ici, mais quelques remarques me semblent importantes. Un grand mérite de Th. Mathews est d'avoir attiré l'attention sur l'existence dans le monde non chrétien d' "icônes"--c'est-à-dire de panneaux votifs peints servant à la piété privée. On admettra facilement l'analogie, déjà signalée dans les Actes Apocryphes de Jean ou par Eusèbe entre des conduites "païennes" et chrétiennes, face aux images. Mais est-on sûr que cette continuité, réelle à un certain niveau, n'est pas une simple apparence à un autre niveau? La religion romaine ne fonctionnait pas comme le christianisme. Il faut lire le dernier chapitre de J. Scheid, Religion et piété à Rome, Paris 2001, pour comprendre comment des gestes et des attitudes, qui relevaient dans le monde romain de la sphère privée, deviennent dans le christianisme les constituants d'une religion où le privé et le public ne se distinguent plus. On suivra donc Th. Mathews lorsqu'il intitule la dernière partie de son chapitre "From the private to the public sphere," mais cette évolution prend du temps. Une religiosité privée, qui n'a pas de compte à rendre à la religion officielle ou au pouvoir de l'état, comme l'était la religion privée romaine, si l'on suit--avec raison me semble-t-il-- l'analyse de J. Scheid dans le livre cité, a peu à voir avec une religion privée qui doit, jusque dans ses manifestations personnelles, être conforme à la religion officielle. à partir de là, je considère qu'il ne faut pas mettre sur le même plan des manifestations comme celles qui sont signalées dans les deux sources citées ci-dessus, qui insistent d'ailleurs sur l'analogie avec les pratiques non chrétiennes, mais dont on connaît mal le statut (s'agit-il de mises en garde contre une pratique qui risquait de se répandre, de l'écho de pratiques isolées ou, du moins, peu fréquentes?) et la pratique d'images votives signalée certes avec insistance, mais ceci est plutôt une affaire des 5e et 6e siècles. Il me paraît donc que ce n'est pas un hasard qu'il y ait une lacune chronologique entre ces rares attestations anciennes d'images qui peuvent être assimilées à des icônes et les attestations plus tardives signalées par Mathews, page 45. Je dirais donc volontiers que les images chrétiennes votives, les icônes si l'on veut utiliser ce terme qui, à cause de ses connotations, reste bien ambigu même s'il est commode, ne se répandent vraiment que lorsqu'une certaine distance a été prise avec les images "païennes" comparables, ce qui permet aux chrétiens d'oublier qu'ils refont, dans un autre contexte, ce que les "païens" faisaient.

Il faut faire intervenir cette même idée de latence pour interpréter des ressemblances entre les personnes sacrées du christianisme et les dieux païens. La question est posée depuis longtemps pour ce qui est du Christ ; à vrai dire, elle est déjà posée au Ve siècle par l'anecdote bien connue où le patriarche Gennadios guérit un peintre dont la main était desséchée parce qu'il avait peint, à l'instigation d'un crypto-païen, un Christ sous les traits de Zeus. Th. Mathews reprend dans ces pages une thèse qu'il avait déjà exposée, à savoir la ressemblance entre les représentations de la Théotokos et celles d'Isis. Il insiste en particulier sur le regard de l'une et de l'autre, regard qui porte au loin et qui n'est pas en contact direct avec le spectateur. La question, comme pour la ressemblance du Christ avec Zeus ou Sérapis ou Asklépios, me semble être de savoir si cette ressemblance était voulue pour montrer aux fidèles que la Théotokos prenait la place d'Isis, ou si elle est le résultat d'un choix iconographique, rendu nécessaire par la volonté de donner à ces personnages un caractère divin ou quasi-divin. Somme toute, il n'est pas facile de représenter un dieu ou une déesse sans en faire de simples mortels. Déjà Dion Chrysostome se posait cette question dans son discours 12 (voir J.-M. Spieser, Invention du portrait du Christ dans A. Paravicini Bagliani, J.-M. Spieser, J. Wirth éd., Le portrait. La représentation de l'individu (Micrologus Library 17), Florence 2007, 57-76). Je dirais donc que si continuité iconographique il y a, continuité plus évidente pour le Christ que pour la Théotokos, c'est parce que les peintres empruntent ou retrouvent des caractéristiques qui leur paraissent capables rendre la nature divine ou quasi divine de la personne représentée, mais qu'ils ne cherchent pas, consciemment ou inconsciemment, à montrer que, par exemple, la Vierge est une nouvelle Isis. Quant à savoir dans quelle mesure le "couples" Isis, Horus a pu jouer un rôle dans le développement de l'importance du couple Marie et le Christ, cela demande une approche qui va bien au-delà de la constatation d'une parenté iconographique et une réflexion approfondie dans le domaine de l'anthropologie des religions. N'oublions pas que le Christ, à la différence d'Horus, est né d'une femme, non d'une déesse, même si la Vierge va sans doute jouer peu à peu, dans le développement du christianisme, un rôle comparable à celui d'une déesse sans en porter le nom, mais ce sera à un moment où Isis est sans doute largement oubliée.

Donc si l'apport de Th. Mathews est essentiel dans sa découverte des icônes païennes, je n'en tire pas tout à fait les mêmes conséquences que lui du point de vue des relations entre "paganisme" et christianisme.

Le volume examiné se poursuit par une présentation par le Père Justin le Sinaïte du magnifique lectionnaire connu sous le nom de Codex Theodosianus, qui date de la Renaissance Macédonienne (Sinai cod. 204). Les sept peintures qui l'ouvrent sont magnifiquement illustrées dans ce volume. Vient ensuite une importante contribution de D. Jacoby qui fait l'histoire du pèlerinage vers le Mont Sinaï et vers le monastère, pèlerinage qui prend toute son ampleur à partir de la domination latine au Levant, qui est ralenti, non arrêté par la disparition de cette domination. Au passage, il donne les indications essentielles sur le développement du culte de sainte Catherine dans ce monastère, dont les attestations les plus anciennes remontent à la deuxième moitié du XIIe siècle.

Le dernier texte, avant le catalogue proprement dit, est dû à K. M. Collins et intitulé "Visual Piety and Institutional Identity at Sinai." Comme le titre ne le dit pas explicitement, l'auteur s'intéresse essentiellement, en suivant un ordre qui n'est pas toujours très clair, au développement des images de sainte Catherine dans ce monastère et, davantage encore, au lien entre Vierge et Buisson Ardent. Elle essaie en particulier de suivre le développement de la Vierge dite "tou Vatou," la Vierge représentée au milieu du Buisson Ardent. Dans la mesure où elle parle aussi de cette scène dans le Moyen Âge occidental, il conviendrait d'ajouter à ses références un important article de F. Boespflug, Un étrange spectacle: le Buisson ardent comme théophanie dans l'art occidental dans Revue de l'art 1992, 11-31. Il est aussi fait allusion dans le texte de K. Collins à l'icône ancienne du Sinaï représentant l'Ascension où les apôtres, qui entourent la Vierge, sont tournées vers elle et semblent se désintéresser du Christ porté dans une mandorle. Aussi bien dans cet article que dans la notice consacrée à cette icône dans la partie catalogue (n?5, 130-133), il n'est pas fait mention des articles de P. Van Moorsel qui attirent l'attention sur l'ambiguïté de ces "Ascensions" non dynamiques, pour reprendre l'expression de K. Collins. On pourrait citer, par exemple, P. Van Moorsel, "Analepsis? Some Patristic Remarks on a Coptic Double Composition," in Studien zur Spätantiken und byzantinischen Kunst, éd. par O. Feld et U. Peschlow, Bonn 1986, III, 137-142. D'autres références se trouvent dans mon article sur le linteau d'Al-Moallaqa in Orbis Romanis Christianusque (Mélanges N. Duval), Paris 1995, 311-320, en particulier 313-315.

Il est évidemment impossible d'analyser ici les soixante et une notices du catalogue proprement dit. Les objets exposés vont de la fameuse icône représentant saint Pierre--Th. Mathews, aussi bien dans l'article cité que dans la notice qu'il lui consacre (123), veut la mettre en relation avec Justinien à cause du nom de baptême de celui-ci--jusqu'à un triptyque du Greco sur lequel est représenté, entre autres, le Sinaï.

Disons simplement qu'il est divisé en trois sections: "Holy Image", qui présente dix-neuf icônes; "Holy Space" (n?20-41) où l'on retrouve des icônes qui peuvent être mises en relation directe avec l'espace de l'église (épistyle, portes du sanctuaire, icônes dont on connaît l'emplacement dans l'église), mais aussi des livres et des objets liturgiques. C'est dans cette section (204-207) qu'était exposé le manuscrit de l'échelle Céleste de saint Jean Climaque (Sinaiticus 418), dont plusieurs miniatures sont reproduites. La dernière section "Holy Site" est moins homogène, réunissant de nouveau essentiellement des icônes : représentations du Mont Sinaï, scènes à mettre en relation étroite avec le site (icônes de sainte Catherine, icônes de la Vierge du Buisson Ardent), mais aussi images dont le seul rapport avec le Sinaï--à part le fait qu'elles y sont conservées--est un lien avec moine ou monachisme (par exemple se trouvent ici le célèbre Sinaiticus 339 (238-239), ou encore une étonnante icône inédite représentant saint Macaire en compagnie d'un chérubin, 236-237).

Il faut surtout souligner qu'à côté de quelques-unes des icônes-vedettes du Sinaï, on trouve dans ce volume d'excellentes reproductions d'icônes ou des miniatures beaucoup moins connues. Ceci ajouté à l'intérêt des textes, fait que l'importance et la qualité de ce catalogue ne peuvent pas être sous-estimées.