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06.08.23, Seaver, Maps, Myths, and Men

06.08.23, Seaver, Maps, Myths, and Men


Le Vinland, territoire outre-Atlantique où les Vikings auraient accosté aux alentours de l'An Mil, a toujours exercé une grande fascination sur les esprits. Au point d'ailleurs d'être considéré comme un avatar des mythiques Îles Fortunées de l'Antiquité. Cette fascination ne se dément pas et le simple recours à un moteur de recherche sur Internet livre le nom de centaines de milliers de sites.

Il reste que les preuves, autant textuelles qu'archéologiques, de ce Vinland n'étaient pas nombreuses et toutes sujettes à caution. En 1965 l'Université de Yale fit donc sensation en dévoilant l'existence d'une carte du XVe siècle sur laquelle figurait ce célèbre Vinland. Cette carte devait être la preuve définitive de la découverte de l'Amérique par le Vieux Continent bien avant Christophe Colomb. Depuis 1965 les controverses entre les partisans de l'authenticité de cette carte et ceux qui n'y voyaient qu'une supercherie ont fait rage. C'est à l'histoire de cette carte, objet d'âpres discussions et tractations depuis 1957 que Kirsten A. Seaver a consacré un bel ouvrage, très documenté et parfaitement informé. L'auteur est à la fois romancière, traductrice, historienne indépendante et membre de la Royal Geographical Society de Londres. Disons tout de suite que le résultat est tout à fait remarquable. C'est à la fois une très utile mise au point sur nombre de questions, un état des lieux minutieux et des propositions de solutions intéressantes. Bien sûr, compte tenu de la diversité des domaines (histoire, codicologie, cartographie, philologie, chimie, etc.) que l'auteur est conduite à parcourir, l'ouvrage peut paraÎtre ardu. S'il est vrai que sa lecture n'est pas facile, son mérite premier est de donner à penser.

Dans un premier chapitre intitulé "An American Place Named Vinland" Kirsten Seaver s'attache à présenter le document central ainsi que les auteurs qui ont rendu publique cette carte. On note au passage que tous ces auteurs présentaient d'incontestables garanties de sérieux et de compétence. Curieusement l'auteur ne souligne pas que cette divulgation prend place le 11 octobre 1965, soit la veille du Colombus Day. Seaver décrit ensuite le document, rappelle les arguments avancés pour prouver l'authenticité du document et s'interroge sur les sources possibles.

Le chapitre 2 ("The Norse in and near North America") reprend les connaissances classiques sur la présence viking dans l'Atlantique Nord, prenant soin de rejeter au passage les nombreux clichés existant sur cette question, clichés qui ont pu influencer les "découvreurs" de la carte du Vinland spécialistes éminents de la cartographie et de son histoire, mais certainement moins au fait des questions relatives aux peuples scandinaves et indigènes à travers ces régions. On notera que l'hypothèse d'une température plus élevée qu'actuellement aux alentours l'An Mil doit être abandonnée. Les oscillations ont été constantes durant le dernier millénaire et les variations locales peuvent être très marquées.

En troisième lieu ("The Black Hole of Provenance") l'auteur raconte les circonstances rocambolesques dans lesquelles la carte du Vinland passe des mains d'un marchand de livres de Barcelone, Ferrajoli, à un antiquaire de New Haven (Connecticut), ancien de l'Université de Yale, lequel revend à un généreux mécène les documents concernés, réalisant au passage une superbe opération financière. Le mécène en fit don ensuite à l'Université de Yale. Dans cette histoire commercialo-policière, il paraÎt bien que nombre de précautions élémentaires ont été négligées.

Kirsten Seaver décrit ensuite avec beaucoup de précision ("Creating Matter from Wormholes") les trois manuscrits, celui de la carte du Vinland, celui de la Relation tartare ainsi que celui des fragments du Speculum historial de Vincent de Beauvais. On sait que c'est la coïncidence des trous faits par les vers dans ces trois parchemins qui a permis de conclure au fait qu'ils avaient été reliés ensemble et qui a permis de les resituer chronologiquement au XVe siècle, dans la proximité du Concile de Bâle. Ensuite c'est l'examen attentif du "lancement" quasi publicitaire qui a suivi la divulgation du document ainsi que l'analyse des premières réactions ("A Star Is Born").

Le chapitre 6 est essentiel ("Portrait of the Vinland Map") car il ne se contente pas d'une description visuelle mais fait également part des résultats détaillés des divers examens en laboratoire de ces textes. Les chapitres 7 et 8 les resituent dans l'histoire de la cartographie ("The Vinland Map as a Cartographic Image") et dans l'histoire des relations de voyages ("The Vinland Map as a Narrative"). à travers toutes ces pages Kirsten Seaver fait preuve d'une immense érudition, d'un souci du détail et d'une volonté d'être tout à fait exhaustive.

Le dernier chapitre est intitulé "The Vinland Map as a Human Creation." Il est centré sur la personne du Père Josef Fischer,S.J. (1858-1944), un allemand résidant en Autriche, et spécialiste renommé de cartographie. Choqué par les persécutions infligées par les nazis aux catholiques, il aurait voulu se venger à sa manière. On sait l'admiration que vouaient les nazis aux exploits héroõques des anciens scandinaves. En réalisant ce faux pour lequel il utilisait un parchemin authentique du XVe siècle, le père Fischer montrait que l'église catholique qui avait christianisé les Vikings aux IXe et Xe siècles avaient eu une influence précoce et profonde sur le monde. Le Père Fischer n'avait évidemment pas pensé au fait que l'encre qu'il utilisait pour truquer sa carte contenait de l'anatase ( TiO2) forme du dioxyde de titanium qui n'a pu être synthétisée qu'aux alentours de 1920. D'autres éléments cartographiques comme la représentation du Groenland sous la forme d'une Île au XVe siècle plaidaient déjà très fortement en faveur d'une supercherie.

Telle est l'incroyable aventure de la carte du Vinland que retrace avec bonheur Kirsten Seaver. Tout n'est sans doute pas juste dans sa démonstration et, par exemple, les raisons qui ont poussé le Père Fischer à réaliser un faux, si elles sont plausibles, laissent un peu le lecteur sur sa faim. Il n'est pas impossible que le dernier mot ne soit pas dit dans l'histoire de cette carte. Ne prétend--on pas que de l'anatase se trouve également dans l'encre qui a servi à imprimer la bible de Gutenberg? Le livre de Kirsten Seaver nous montre que l'erreur est humaine, que des conjugaisons surprenantes peuvent avoir des résultats sans commune mesure avec une sordide aventure de vente frauduleuse.

Avec ou sans la carte du Vinland, les historiens savent de toute faíon, grâce à l'archéologie, que les Vikings sont parvenus en Amérique du Nord vers l'An Mil. Tant pis pour Christophe Colomb et les Génois!