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06.06.02, Goullet, Ecriture et réécriture hagiographiques
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L'ouvrage de Monique Goullet, Ecriture et réécriture hagiographiques, se propose, comme le souligne l'auteur (désormais noté A.) dans son introduction de 17 pages, consacrée à une définition du phénomène de la réécriture, d'examiner la littérarité de la production hagiographique, en prenant les Vies de saints pour objets littéraires. Dans cette perspective, la réécriture hagiographique, par l'intertextualité qu'elle instaure entre Vies consacrées à un même saint, permet de prendre la mesure du double enjeu qu'offre tout texte: historique et littéraire. La démarche de Goullet, comme le signalent les nombreuses citations et références bibliographiques qui émaillent cette introduction, s'enracine dans une tradition désormais établie, à laquelle les recherches et projets, dirigés ou initiés, entre autres, par Martin Heinzelmann ou par Guy Philippart, ont donné une impulsion décisive, et témoigne du souci de dresser avant toute enquête un panorama des travaux les plus récents qui s'inscrivent dans la même ligne, au point de livrer à l'occasion dans ces pages une véritable bibliographie commentée, précieuse pour tout chercheur. Au terme de son introduction, Goullet aborde des problèmes de terminologie, distinguant les mots réécriture, remaniement et remploi, avant de définir son corpus, constitué presque exclusivement de Vitae et de Passiones.

La première partie de l'ouvrage (pp. 31-101), intitulée "Théories de la réécriture", décline trois volets, respectivement consacrés au discours des hagiographes, à la réécriture dans la rhétorique antique et médiévale, et, enfin, à la typologie de Gérard Genette. S'appuyant sur les données des paratextes (prologues, préfaces, dédicaces, postfaces et épilogues), Goullet signale les difficultés d'une recherche, dans ce type de documents, d'éléments probants, souvent masqués par une topique qui, de plus, traverse les siècles sans subir de grandes modifications. De l'époque carolingienne au XIIème siècle, pour Goullet, les remaniements revendiqués au nom de la nécessité de rendre en une langue plus normative des textes présentés comme rustici sont ainsi, comme le montrent les extraits présentés accompagnés d'une première traduction, loin de se cantonner à de simples transformations formelles; dans cette partie, ce sont donc les motifs (humilité feinte, demande adressée au dédicataire de corriger l'oeuvre) qui suscitent le constat de Goullet: il demeure difficile de prendre la pleine mesure des motivations et méthodes des hagiographes au vu du seul paratexte et c'est bien la confrontation entre le texte lui-même et les éléments paratextuels qui permet de confirmer ou d'infirmer les motivations affichées par les préfaces. Le volet suivant s'attache aux compétences rhétoriques des hagiographes, mais, tout en rappelant leur ancrage dans l'héritage cicéronien, en montre les aspects originaux par rapport à une tradition classique, aspects marqués dans les nouvelles acceptions données à des termes comme ceux de narratio ou de tractatio par les Arts poétiques médiévaux; traitant de deux points liés au sujet abordé, celui de l'amplification et des niveaux de style d'une part, et celui de l'abbrevatio d'autre part, Goullet signale clairement que l'absence de théorisation d'ensemble n'empêche pas le recours à une terminologie de base, centrée au moyen âge sur les notions d'allongement et d'abrègement, et non plus, comme dans l'Antiquité classique, sur les catégories d'élévation ou d'abaissement. Sans doute pourrait-on regretter le peu de place réservé dans cette sous-partie au rôle, juste évoqué, de l'exégèse et de la métaphrase. Le dernier volet de cette première partie reprend la classification établie par Gérard Genette dans son ouvrage Palimpsestes; il s'agit moins ici de plaquer un ensemble de catégories prédéfinies, reprises dans le glossaire final, que de chercher "un cadre commode de pensée et d'expression", une terminologie susceptible "de permettre de traiter les textes hagiographiques médiévaux comme des textes littéraires parmi d'autres". (91)

La deuxième partie de l'ouvrage de Monique Goullet exploite alors les types de transformation dégagés par Genette (transformations quantitatives; formelles non quantitatives; sémantiques ou conceptuelles) en les reprenant méthodiquement et en les illustrant d'exemples empruntés à des textes hagiographiques, citations analysées avec précision et minutie--citons, comme exemple emblématique de la démarche suivie ici, les pages consacrées à la Vie de sainte Glossinde (pp. 111-114). Au terme de ce pan de l'ouvrage, axé sur l'étude de la transformation d'un texte de base ou hypotexte en texte réécrit ou hypertexte, la troisième et dernière grande partie élargit le domaine d'investigation en abordant tout d'abord la question de l'intertextualité, ce dialogue avec d'autres textes instauré par la réécriture, point où l'on relèvera tout particulièrement le plagiat implicite ou explicite, la réécriture parodique (à l'image de celle qu'offre l'Historia de Nemine), puis, dans un second temps, intitulé réécriture et ecdotique, des questions aussi délicates que celle de l'instabilité des textes hagiographiques (et des conséquences qui en découlent pour l'édition), question envisagée ici à la lumière des débats les plus récents nés en Belgique, Italie ou Allemagne, qui amène Goullet à se prononcer, pour sa part, en faveur d'un recours systématique aux ressources informatiques pour concilier prise en compte des versions textuelles successives et, pour chaque lieu variant, des leons des manuscrits.

Riche d'une bibliographie stimulante, et d'annexes variées (édition de réécritures de la Vita Basoli, pp. 273-286; la Vita s. Amati contaminata aux pp. 287-299; et Prose et vers: trois Vies de Cassien d'Imola, pp. 300-306) suivies d'un Glossaire des termes de rhétorique et de narratologie et de deux Indices (Index des saints et index des hagiographes), cet ouvrage, destiné initialement, comme semble l'indiquer la note 118 (p. 89), aux historiens, offrira également aux littéraires matière à réflexion et montre bien l'intérêt, pour un sujet comme celui de la réécriture, qui s'inscrit dans l'interaction, de faire jouer des systèmes d'analyse médiévaux et contemporains de fa?on également interactive. Par le panorama qu'il donne des récentes approches critiques des textes hagiographiques, par le nombre d'exemples qu'il exploite et analyse, ce livre devrait enfin, à n'en point douter, susciter et encourager dans les travaux à venir une réflexion méthodologique sur la mise en oeuvre des Vitae et Passiones.