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99.04.05, Kitchen, Saints' Lives and the Rhetoric of Gender

99.04.05, Kitchen, Saints' Lives and the Rhetoric of Gender


De l'époque où elle était une thèse de doctorat -- soutenue à l'Université de Toronto en 1995 --, cette étude a conservé son ton militant et une définition trop étriquée du corpus des sources pour réussir complètement sa transformation en livre; il ne suffisait pas pour cela de la recouvrir d'un titre démesurément large, qui induira en erreur plus d'un acheteur. Car il ne s'agit pas de l'hagiographie mérovingienne, mais de l'hagiographie du VIe siècle; pas tout le VIe siècle d'ailleurs, mais seulement trois auteurs (Fortunat, Grégoire de Tours et Baudonivie). Et pas toutes leurs oeuvres hagiographiques non plus: Fortunat en prose seulement (donc pas sa Vie métrique de s. Médard, BHL 5863), Grégoire seulement pour son Liber vitae Patrum (tout particulièrement s. Senoch, BHL 7577). Même dans ce cadre limité, l'absence de la première Vie de sainte Geneviève de Paris (c. 520 ; BHL 3335) n'est ni explicable ni expliquée; une mention fugitive en bibliographie et en note (p. 224, n. 113) ne peut servir d'alibi. Nous avons donc affaire à une autre manifestation de cette pratique éditoriale détestable des monographies au titre abusivement large, dénoncée encore récemment par Robert Bartlett ( English Historical Review, 112: 447 [juin 1997], p. 700-701.

Vu son ambition "révisionniste" (sic, en publicité sur la jaquette), cet ouvrage suscitera probablement des réactions assez vives; il possède en tout cas le mérite de ramener les discussions relatives à la sainteté féminine du haut moyen âge sur le terrain d'une étude textuelle serrée. C'est là que réside sa contribution originale au débat principalement conduit depuis quelques décennies par des chercheurs de tendance féministe. L'auteur ambitionne de démontrer que c'est faire fausse route que de considérer la Vie de sainte Radegonde de Poitiers par la moniale Baudonivie comme un produit hagiographique distinct du courant principal de la production hagiographique qui lui est contemporaine; à son avis, la Vie de Radegonde n'appartient pas à un genre à part, ni par un idéal de sainteté typiquement féminin qu'elle véhiculerait, ni par un hypothétique point de vue proprement féminin de son auteure. Afin d'arriver à faire cette démonstration, l'auteur procède d'abord à une analyse attentive d'oeuvres hagiographiques relatives à des saints, puis à des saintes, sous la plume de Fortunat et de Grégoire; il mobilise à cet effet les ressources de l'exégèse biblique et scrute particulièrement les rapports entre les préfaces et le corps de la narration.

étant donné les limites de son enquête, il serait prématuré de croire que sa thèse s'applique à l'ensemble de l'hagiographie mérovingienne; mais elle force déjà la reconsidération d'une vulgate que beaucoup pensaient bien établie. Le problème de fond reste d'essayer de comprendre comment les hagiographes du VIe siècle ont cherché à relever le défi d'une mise en forme hagiographique pour des saintes femmes, au moment où démarrait de façon décisive en Gaule le culte des confesseurs non martyrs. Le raisonnement de l'auteur aurait maintenant besoin d'être poussé plus loin; s'il paraît acquis qu'il faille se méfier d'une croyance trop romantique en une complicité féminine entre les saintes et leurs biographes féminines, où devons-nous porter notre regard pour apprécier correctement les expressions hagiographiques de la perfection chrétienne au féminin? à quelques reprises, l'auteur effleure une voie d'approche qui nous paraît pertinente: comment certaines traditions de la sainteté épiscopale ont-elles trouvé une place dans l'hagiographie féminine? Pour développper une telle enquête, le recours à la Vie de Geneviève sera bien nécessaire.

La bibliographie de cette thèse n'a reçu que des compléments partiels après 1995; les titres en français sont restés imparfaitement corrigés. L'auteur avoue quelques difficultés à accéder à certains des travaux nombreux et dispersés relatifs à son entreprise; sa liste pourrait être utilement complétée des titres suivants: Consolino, Franca E. "Due agiografi per una regina: Radegonda di Turingia fra Fortunato e Baudonivia." Studi storici, 29 (1988), pp. 143-159.Favreau, Robert dir. La Vie de sainte Radegonde par Fortunat. Poitiers, Bibliothèque municipale, manuscrit 250 (136). Paris, 1995, 269pp.Heinzelmann, Martin et Joseph-Claude Poulin, Les Vies anciennes de sainte Geneviève de Paris. études critiques. Paris, 1986, pp. x, 195. (Bibliothèque de l'école des Hautes études, IVe section, 329).Lange, Imke. "'Teste Deo, me nihil audisse modo saeculare de cantico.' 'Volk' und 'Elite' als kulturelle Systeme in De vita s. Radegundis libri duo." Volkskultur und Elitekultur im frühen Mittelalter: Das Beispiel der Heiligenviten (H.-W. Goetz, ed.). Krems, 1997, p. 20- 38 (Medium Aevum Quotidianum, 36).Leonardi, Claudio. "Fortunato e Baudonivia." Aus Kirche und Reich. Studien zu Theologie, Politik und Recht im Mittelalter. Festschrift für Friedrich Kempf (H. Mordek, ed.). Sigmaringen, 1983, p. 23-32.Papa, Cristina. "Radegonda e Batilde: modelli di santità regia femminile nel regno merovingio." Benedictina, 36 (1989), p. 13-33.Quesnel, Solange. Venance Fortunat. Oeuvres. IV- Vie de saint Martin. Paris, 1996, XCV- 177p. (Coll. des Universités de France).Whatley, E. Gordon. "An Early Literary Quotation from the Inventio s. Crucis. A Note on Baudonivia's Vita s. Radegundis ( BHL 7049)." Analecta Bollandiana, 111 (1993), p. 81-91.White, Duey. "Complementary Contexts for Three Versions of the Life of Saint Queen Radegunde." Proceedings of the Annual Meeting of the Western Society for French History (Nouvelle-Orléans, 1989) (G.C. Bond, ed.), 17 (1990), p. 46-53. Inversement, il convient d'adopter une attitude plus critique que ne l'a fait l'auteur envers des travaux longtemps célèbres, mais maintenant vieillissants, comme ceux de René Aigrain (1953) ou de Frantisek Graus (1965).

Au total, nous avons donc ici un livre utile, même si sa portée reste plus limitée que ne l'espère son auteur; la méthode philologique dont il se réclame pourrait continuer de s'appliquer avec une vigueur accrue, pour guider le choix de leçons débattues ou approfondir l'analyse des différents régimes d'emprunts formels chez les hagiographes. Paradoxalement, l'auteur se laisse parfois entraîner par les interprétations qu'il cherche à combattre: c'est ainsi qu'il traduit couramment "viriliter agite" par "act manfully", même là où "agissez courageusement" ferait l'affaire, sans référence à un sexe en particulier. C'est dire que le débat est loin d'être clos.