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99.02.11, Allmand, New cambridge Medieval History, Vol 7

99.02.11, Allmand, New cambridge Medieval History, Vol 7


Enfin, une nouvelle Cambridge Medieval History. Enfin une nouvelle synthèse sur le XVe s. européen. La première édition de ce tome de la Cambridge Medieval History était parue en 1936. Chacun mesure l'écart, l'abîme qui sépare l'historien de ces temps troublés et l'historien du (presque) troisième millénaire. Il était temps de remettre l'ouvrage sur le métier. C'est ce qu'a osé faire Christopher Allmand, de l'université de Liverpool, coordonnant une brillante équipe, principalement anglo-saxonne, mais aussi française, espagnole, portugaise, polonaise, hongroise... L'ouvrage, sous une digne livrée bien britannique, impressionne. Par sa taille, d'abord: presque 40 contributions sur plus de 800 pages, de beaux indices rerum, personarum et locarum, une bibliographie de base fort judicieusement choisie et répartie selon l'ordre des différents chapitres, couvrant presque 150 pages.

Mais le ramage vaut le plumage. Un plan en quatre parties: une première partie concernant le " government ", une autre sur les développements économiques et sociaux, une troisième sur la vie spirituelle, culturelle et artistique et une quatrième qui consacre 500 pages aux différents États en gestation ou juste nés, les décrivant les uns après les autres. C'est clair: voilà une synthèse qui est d'abord politique, même si rien de tel n'y est défendu. Mieux: C. Allmand, dans son introduction, se défend d'avoir voulu rétrograder l'histoire politique en plaçant cette partie sur les États européens en dernier lieu. Une précaution oratoire bien inutile. Mais qu'on ne s'y trompe pas: loin de nous, la volonté de mépriser ce parti-pris. C'est bien ce qu'on demande à une synthèse de ce type: fixer des cadres, des repères. Et les repères principaux sont, on en conviendra, d'abord politiques et économiques, puis sociaux et aussi religieux.

Pour passer en revue ces contributions, nous adopterons une démarche thématique, naviguant à vue, de point en point, de port en port, traversant chaque partie et chaque chapitre de part en part, nous arrêtant là où apparaît une des lignes de force défendues par chaque contributeur. Plutôt que de répéter, de paragraphe en paragraphe, les titres de chaque contribution et les pages occupées dans l'ouvrage, nous mentionnerons seulement le nom de l'auteur et nous renvoyons le lecteur à la table des matières du volume, reproduite en fin de ce compte rendu.

Les régions, les " presque États " de l'Europe ont ceci de particulier au XVe s. que, toujours monarchiques ou autoritaires, ils doivent composer avec des assemblées. Le poids de ces assemblées n'est certes pas aussi déterminant qu'on l'a cru, comme l'expliquent bien GENET, puis BLOCKMANS et A. BLACK. Qu'il s'agisse des assemblées accordant l'investiture, le pouvoir de lever des impôts, qu'il s'agisse d'assemblées de communautés rurales, des unions de villes ou d'assemblées religieuses comme les conciles. Toutes ces assemblées fonctionnent également comme des organes de gestion des crises, des conflits (" crisis management ") au sein des sociétés qu'elles représentent ; de même que les corporations et gildes, au sein des villes (BLOCKMANS, DOBSON). Même si, bien souvent, les crises se résolvent par le fer (voir ci-dessous). On aurait cependant aimé lire davantage de pages sur l'évolution comparée des systèmes judiciaires.

Dans tous les cas, le prince garde une grande part de son pouvoir, même s'il peut être discuté. Certes, en Italie, nous sommes confrontés aux républiques, teintées d'humanisme civique (GENET - voir MALLETT et RYDER). Cependant ceux qui soutiennent ces républiques sont aussi ceux qui soutiennent les princes, dans leurs cours prestigieuses (voir l'exemple bourguignon développé par SCHNERB): les nobles. Noblesse de sang d'abord (cf. CONTAMINE). Mais elle ne suffira pas, d'autant plus qu'elle s'étiole, disparaît, vampirisée par la débâcle économique, par les grandes maladies, par la dépopulation galopante (CONTAMINE: les nobles font, au XVe s., 1.2 % de la population en Angleterre, entre 1.5 et 2 % en France, respectivement 10 %, 15 % et 1.5 à 2 % en Castille, en Navarre et en Aragon, 5 % en Hongrie et de 3 à 5 % en Pologne..; voir aussi DOBSON). Alors il faudra faire entrer dans ce grand corps décharné d'autres grands, ceux des affaires, ceux du commerce ; et puis permettre aux anciens nobles de survivre en embrassant ces carrières autrefois maudites (CHILDS). On lira à ce propos avec intérêt les pages que consacre R. BLACK à l'humanisme, par lesquelles il analyse fort finement ce dernier, décrivant avec des traits un peu acérés les commentaires de l'historiographie à ce propos. Il y pose l'hypothèse que l'humanisme, né en Italie, est une sorte de mode, un passage obligé pour tout marchand, tout banquier, afin qu'il acquière, au propre comme au figuré, des " lettres de noblesse ". L'humanisme, formation nécessaire pour qui veut gouverner le monde, du moins en Italie. Il y aurait là toute une classe moyenne supérieure qui veut gravir un échelon. Ce mouvement, on le retrouve dans les universités (VERGER), qui s'aristocratisent à la fin du XVe s.: le diplôme universitaire reste une " monnaie sociale ". On peut donc devenir noble, ou puissant, ou les deux. Regrettons au passage l'absence d'un chapitre qui aurait été bienvenu sur ces nouvelles couches sociales, que d'aucuns ont appelées le patriciat et que l'on appelle maintenant les élites urbaines - voir, par exemple Les élites urbaines au Moyen Âge. XXIVe Congrès de la Société des Historiens Médiévistes de l'enseignement supérieur public (Rome, mai 1996), Paris - Rome, 1997 (Collection de l'École française de Rome, 238 - Société des Historiens Médiévistes de l'Enseignement Supérieur Public ; Série: Histoire ancienne et médiévale, 46).

Les princes l'ont bien compris, eux qui cherchent à s'accorder les faveurs des marchands et des banquiers, et la bonne marche d'une économie " nationale " par des octrois de privilèges (CHILDS). Ces encouragements ne sont pas malvenus, puisque le XVe s. est un siècle de malheurs. La crise démographique frappe lourdement, et les effectifs de population ne sont pas encore remontés depuis 1348 dans bon nombre de pays d'Europe (DYER); un manque de métal précieux se fait sentir, à l'échelon européen ; les prix des céréales chutent, les rentes, cette épine dorsale de l'économie du bas Moyen-Âge, aussi - nous déplorerons ici le peu de lignes consacrées à ces éléments essentiels de l'économie du Moyen-Âge et de l'Ancien Régime, que sont le crédit et les systèmes de la rente, enfin arrivés à maturité à la fin du XIVe s. et au XVe s. en Europe ; cf., récemment parus, Des personnes aux institutions. Réseaux et culture du crédit du XVIe au XXe siècle en Europe. Actes du colloque international "Centenaire des FUCAM" (Mons, 14-16 novembre 1996), éd. FONTAINE L., POSTEL-VINAY G., ROSENTHAL J.-L., SERVAIS P., Louvain-la-Neuve, 1997 et surtout Endettement paysan et crédit rural dans l'Europe médiévale et moderne, éd. BERTHE M., Toulouse, 1998 (Flaran). Cependant, ce n'est pas un siècle de famine. Plutôt une crise dont certaines régions se sortiront plus aisément que d'autres, diversifiant leur production, enchaînant de nouveaux rapports avec la ville... (DYER ; CHILDS). Une période difficile que traverseront les grandes familles de banquiers italiens, dont le succès et le développement ne sont que les conséquences d'un extraordinaire essor technologique que connaît alors l'Italie. Les grandes cités du Sud de l'Allemagne, les ports (comme Anvers) et surtout la batellerie hollandaise, les grands ports français vont aussi permettre un regain économique (DOBSON).

Un autre des cavaliers de l'Apocalypse frappant le XVe s.: la guerre. Un très beau chapitre d'ALLMAND nous montre des guerres théorisées, profitant du dernier cri de la technique, alimentées par des armées " de métier ", qui sont devenues l'affaire de spécialistes, de mercenaires (dont les Suisses: voir SABLONIER) et de condottiere.

Autre crise: la crise religieuse, née de la résolution du Grand Schisme et des conciles de Constance et de Bâle: la reformatio est l'affaire de tous et à tous niveaux: in capite - il s'agit de réglementer le pouvoir du pape et ses modes d'élection (A. BLACK) - comme in membris. Dans cette dernière perspective, les entreprises sont nombreuses: la prédication, notamment par les Mendiants; la réforme spirituelle des couvents et abbayes; le développement d'une nouvelle religion mystique, intériorisée, personnelle, impliquant les laïcs dans la prise en charge de leur au-delà, de l'éventuelle diminution de leur temps de purgatoire (notamment par l'achat d'indulgences) (RAPP). Un des vecteurs les mieux connus de cette réforme est le livre manuscrit: copié dans des ateliers ou par des spécialistes comme les Frères de la Vie Commune (qui dirigent par ailleurs des écoles), les Chartreux - et même les Croisiers, selon nous -, le livre se répand chez les laïcs et devient un instrument servant à la dévotion personnelle (voir l'article de M. VALE, Manuscripts..., intéressant mais un peu court). L'imprimerie va lui donner un nouvel essor, mais pas avant 1500. La petite synthèse de MCKITTERICK à son propos a le mérite d'insister sur l'absence, au XVe s., de liens entre l'apparition de l'imprimerie et les besoins en livres des universités. Même si l'architecture, la peinture, la sculpture sont de plus en plus l'affaire des laïcs, de la Flandre à l'Italie, usant du genre mythologique et des modèles classiques (avec l'illustration la plus achevée de cet art laïc dans les palais italiens)... l'art reste aussi - surtout ? - sacré. C'est un autre vecteur de la piété individuelle que la vision des choses sacrées: de l'ostension du Saint-Sacrement aux grands retables peints ou sculptés, lointains héritiers des tympans des cathédrales, que CROSSLEY appelle étonnamment " giant prayer machines ", au service de la dévotion populaire (ici p. 313). La vue, mais aussi l'ouïe: remarquons un petit chapitre sur la musique, par CURTIS; on ne peut guère faire l'histoire que de la musique sacrée - c'est surtout celle-ci qui a traversé les siècles jusqu'à nous.

Mais le goût de la réforme poussera certains dans des retranchements que l'Eglise n'acceptera pas, comme le mouvement des Hussites (esquissé par RAPP, détaillé par KLASSEN). La réaction sera violente; elle est bien connue. C'est à ce moment que se lèvera le "Malleus maleficarum " (1486) et que la machine de la répression se mettra en branle (pour reprendre les termes de RAPP, p. 218).

Il n'empêche, ce XVe s. reste un grand siècle. C'est d'abord celui des grandes découvertes: un beau chapitre de F. FERNANDEZ-ARMESTO met d'ailleurs l'accent sur les " petits " explorateurs, ceux dont le nom nous a presque échappé. Car ces aspirations, ce mouvement des découvreurs, né à la fois d'exigences économiques et d'ambitions politiques, d'un esprit commercial, d'un zèle missionnaire et nourri de curiosité scientifique, a emporté des dizaines d'aventuriers qui cherchaient à travers leurs exploits à vivre l'idéal de chevalerie. Le XVe s. marque aussi l'émergence des États-nations. Ce sont les premiers pas de ces États-nations, chancelants encore sur de maigres colonnes institutionnelles, qui sont évoqués au fil du volume et surtout dans sa dernière partie, justifiant par là-même cette longue litanie de petites synthèses, de l'Atlantique à l'Oural.

Il manquait une synthèse récente sur ce siècle un peu délaissé. La voilà. Evidemment, on peut regretter certaines absences, certains silences. On aurait aimé lire davantage d'exposés thématiques: la justice, les ordres religieux florissant au XVe s., la bourgeoisie, la littérature (aussi bien religieuse que laïque)... Mais qu'importe. Il fallait une synthèse claire, qui pointe les principales lignes de faîte de cette période. Nous l'avons. La petite-fille de la vénérable Cambridge Medieval History mérite une place d'honneur dans les rayons de nos bibliothèques. Elle est la digne descendante de son illustre aïeule.

Liste des contributions

Part I. Government

J.-Ph. GENET, Politics: theory and practice, p. 3-28. W. BLOCKMANS, Representation (since the thirteenth century), p. 29-64. A. BLACK, Popes and councils, p. 65-86.

Part II. Economic and social developments

Ph. CONTAMINE; The European nobility, p. 89-105. Chr. DYER, Rural Europe, p. 106-120. B. DOBSON, Urban Europe, p. 121-144. W. CHILDS, Commerce and trade, p. 156-160. Chr. ALLMAND, War, p. 161-174. F. FERNANDEZ-ARMESTO, Exploration and discovery,p. 175-201.

Part III. Spiritual, cultural and artistic life

F. RAPP, Religious belief and practice, p. 205-219. J. VERGER, Schools and universities, p. 220-242. R. BLACK, Humanism, p. 243-277. M. VALE, Manuscripts and books, p. 278-286. D. MCKITTERICK, The beginning of printing, p. 287-298. P. CROSSLEY, Architecture and painting, p. 299-318. G. CURTIS, Music, p. 319-333.

Part IV. The development of European States

T. SCOTT, Germany and the Empire, p. 337-366. J. KLASSEN, Hus, the Hussites and Bohemia, p. 367-391. M. VALE, France at the End of the Hundred Years War (c. 1420-1461), p. 392-407. B. CHEVALIER, The recovery of France, 1450-1520, p. 408-430. B. SCHNERB, Burgundy, p. 431-456. Ed. POWELL, Lancastrian England, p. 457-476. R. HORROX, Yorkist and early Tudor England, p. 477-495. A. COSGROVE, Ireland, p. 496-513. J. WORMALD, Scotland: 1406-1513, p. 514-531. A.D. CARR, Wales, p. 532-546. M. MALLETT, The nothern Italian states, p. 547-570. A. RYDER, The papal states and the kingdom of Naples, p. 571-587. M. DEL TREPPO, Aragon, p. 588-605. A. MACKAY, Castile and Navarre, p. 606-626. A. DE SOUSA, Portugal, p. 627-644. R. SABLONIER, The Swis Confederation, p. 645-670. Th. RIIS, The states of Scandinavia, c. 1390-c. 1536., p. 671-706. J. BAK, Hungary: crown and estates, p. 707-726. A. GIEYSZTOR, The kingdom of Poland and the grand duchy of Lithuania, 1370-1506, p. 727-747. N. SHIELDS KOLLMANN, Russia/, p. 748-770. A. BRYER, Byzantium: the Roman Orthodox world, 1393-1492, p. 771-795. A. LUTTRELL, The Latin east, p. 796-811. E. ZACHARIADOU, The Ottoman world, p. 812-830.