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23.12.09 Evans/Evans (eds.), Monastères, convergences, échanges et confrontations dans l’Ouest de l’Europe au Moyen Âge

23.12.09 Evans/Evans (eds.), Monastères, convergences, échanges et confrontations dans l’Ouest de l’Europe au Moyen Âge


La publication de ce livre marque une étape importante dans l’avancement du projet “Anciennes abbayes de Bretagne/Ancient abbeys of Britanny, ” porté par les universités de Toronto, Brest, et Lorient. Il reprend les communications prononcées lors d’un colloque tenu à Toronto en 2016, avec comme objectif principal de travailler aux relations entre monastères, pour sortir l’histoire monastique d’une tradition très monographique. Il est organisé en trois parties, à l’intérieur desquelles on trouve 13 communications.

La première partie s’intitule “Monastères bretons, ” et compte cinq articles. Caroline Brett remet en cause le concept d’“église celtique” appliqué à la Bretagne du Haut Moyen Âge. Car s’il est vrai que, fascinés par les grands monastères bretons comme Landévennec ou Redon, les historiens ont sans doute oublié qu’à côté de ceux-ci, il y avait de nombreux tout petits monastères, sans doute très éphémères, issus d’une initiative locale et personnelle. Et c’est sans doute là que réside une caractéristique majeure: du fait du ralentissement de la romanisation, visible dès la seconde moitié du IIIe siècle, la Bretagne n’a pas connu au Haut Moyen Âge de riche aristocratie active à l’échelle régionale, ce qui explique que les grands monastères n’ont pu être fondés qu’avec le soutien des puissances franques.

Joseph-Claude Poulin compare trois vies, celles des saints Malo, Guénolé, et Conwoion, écrites vers 870. Si l’on voit par exemple une différence de culture, du moins revendiquée (le clerc séculier Bili, auteur de la vie de s. Malo, évite de citer des auteurs profanes), c’est surtout le positionnement par rapport au monde franc qui diffère. Pour Bili, s. Malo a été consacré évêque à Tours, donc en France, ce qui est corrigé par des versions écrites peu après, qui placent la consécration épiscopale à Dol, en Bretagne. À l’inverse, l’auteur de la vie de Conwoion évite toute référence au monde franc.

Yves Gallet compare l’organisation matérielle et topographique de trois grands monastères carolingiens: Redon, Landévennec, et le Mont-Saint-Michel. Il montre surtout l’importance, au IXe siècle, de l’influence franque, avec une disposition des bâtiments de Landévennec autour d’un cloître, avec réfectoire, dortoir et peut-être salle capitulaire, et un grand soin porté à ce que la topographie facilite l’accueil des pèlerins.

Joëlle Quaghebeur montre que l’abbaye de Redon, fondée vers 830, accueillit favorablement, et même soutint, la fondation de Sainte-Croix de Quimperlé dans la première moitié du XIe siècle. Mais les relations entre les deux monastères se tendirent à la fin du siècle, la prospérité de Quimperlé menaçant la richesse de Redon, en particulier du côté de Belle-Île-en-Mer.

Julien Bachelier étudie les monastères et couvents de Haute-Bretagne, et montre comment, faute de politique réformatrice de la part des grandes abbayes bretonnes et des familles aristocratiques qui les soutenaient, ils ont dû faire appel à des monastères extérieurs au duché.

La deuxième partie, composée de trois articles, porte sur les “tensions internes dans le monde monastique de l’Ouest.” Bernard Ardura sort du cadre de la Bretagne pour étudier l’institution des chapitres généraux: invention de Cîteaux destinée à éviter le modèle monarchique et féodal de Cluny, le chapitre général sera ensuite adopté par les chanoines de Prémontré pour remplacer le lien entre monastères que constituait le charisme de s. Norbert; puis, plus tard, par les ordres mendiants. Mais dans tous les cas, le chapitre général crée en Europe un modèle d’assemblée représentative et législative.

Guy Jarousseau revient sur les relations entre monastères dans le cadre particulier de la propagation de la réforme monastique. Il montre la fragilité des influences successives, de Cluny et Marmoutier notamment, très dépendant des personnalités abbatiales, des axes politiques et des charismes. Il rappelle aussi que dès les années 1030 l’abbé de Marmoutier Albert, disciple de Fulbert de Chartres, avait inventé, au sujet des abbés, le principe de la double investiture, laïque et ecclésiastique.

Jean-Michel Picard dénonce une vieille idée fausse, selon laquelle les femmes auraient bénéficié, dans l’“Église bretonne” (un concept qu’il récuse également) d’une position privilégiée par rapport au reste de la chrétienté. Les monastères doubles n’y étaient pas plus nombreux, et l’existence de femmes délivrant la communion, les conhospitae, n’est évoquée qu’une seule fois.

Riche de cinq articles, la dernière partie concerne les “échanges, influences, convergences.” On voit souvent dans le pèlerinage une pratique du Moyen Âge central. Catherine Vincent montre qu’au contraire le pèlerinage est en plein essor au Moyen Âge tardif. On ne dispose évidemment pas de statistique des pèlerins, mais les lieux de pèlerinage, eux, sont de plus en plus nombreux. Les fidèles y viennent, les rois et les princes les appuient, les saints y opèrent des miracles, pieusement mis par écrit par les religieux.

Marielle Lamy étudie les sermons écrits à l’occasion d’une des fêtes de saint Benoît (21 mars, 11 juillet, 4 décembre) au XIIe siècle par des bénédictins ou, bien plus souvent, des cisterciens. Nombre de ces sermons exaltent l’image de Benoît législateur à l’instar de Moïse tout en mettant en avant, par rapport à ce dernier ou à des observations trop rigoristes, la plasticité de la règle monastique.

Esther Dehoux analyse les rouleaux des morts émis dans l’Ouest de la France. Ils sont très majoritairement envoyés par des monastères bénédictins, mais circulent librement dans des églises d’ordres divers, toute prière étant bonne à prendre. La formulation des titres qui y figurent devient en partie stéréotypée, mais s’ouvre de plus en plus vers l’annonce de la concession de messes, prières et autres œuvres de piété.

À partir des réseaux de confraternité de l’abbaye de Fécamp, Stéphane Lecouteux démontre la grande vitalité de ces réseaux trop négligés par les historiens. C’est à l’intérieur de ces réseaux que, selon nos sources, voyagent moines, manuscrits, et textes. Lecouteux montre ainsi que les réseaux de confraternité n’entraînaient pas seulement une solidarité de prière, mais aussi, plus largement, une coopération dans la vie monastique en général.

Sébastien Barret dégage de l’étude de quelques chartes clunisiennes (essentiellement la charte de fondation et une charte donnée en 1065 par Raymond de Saint-Gilles) l’idée que les moines bourguignons modelaient très librement leurs actes, et cela pas seulement lorsqu’ils fabriquaient des faux. Ils utilisaient pour cela un corpus de formules, qu’ils adaptaient selon le contexte local de l’église concernée.

L’ensemble du volume est quelque peu disparate. Il n’y a aucune définition de “l’Ouest de l’Europe,” mentionné dans le titre, et dont on comprend qu’il est parfois le monde celtique, et particulièrement breton; parfois la Bretagne et ses régions continentales plus ou moins limitrophes; parfois encore il est absent. Cependant le volume réussit son pari: aucune étude ne porte sur un seul monastère, toutes portent soit sur une comparaison, soit plutôt sur des liens de collaboration ou au contraire sur des tensions entre plusieurs églises. On peut aussi souligner que les auteurs parviennent sans difficulté à tenir l’équilibre entre l’examen scrupuleux des sources, et des conclusions assez larges.

Cet ouvrage, complété par un index des noms de lieux, sera donc en fin de compte utile non seulement pour les historiens de la Bretagne et de l’Ouest français, mais à tous les historiens du monachisme médiéval.