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23.05.04 Rigollet, Mobilités du lignage anglo-normand de Briouze

23.05.04 Rigollet, Mobilités du lignage anglo-normand de Briouze


Cette publication est le prolongement du travail doctoral que l’auteure a mené sous la direction de Martin Aurell (université de Poitiers), et en bénéficiant des sagaces conseils de Nicholas Vincent (University of East Anglia). Fruit d’un labeur de longue haleine, l’ouvrage aborde des thèmes bien connus des médiévistes, notamment celui de la parenté, de l’exercice du pouvoir, de la seigneurie castrale ou encore du patronage monastique, approches éclairées par les apports de la sociologie, de l’anthropologie, voire de la psychologie, mais surtout de la géographie historique. Cette dernière est au cœur de la réflexion puisqu’il s’agit bien là de traiter de la question de l’espace lorsque l’objectif est d’analyser la mobilité sociale et territoriale d’une famille originaire de l’arrière-pays de Caen qui est venue, dans un premier temps, s’établir dans le Sussex une fois que Guillaume le Bâtard eut achevé la conquête de l’Angleterre.

Le plan retenu par l’auteure repose sur des segments chronologiques qui viennent scander en trois parties une histoire en continu du lignage anglo-normand de Briouze. Le premier intervalle (1066-1175) traite, assez logiquement, des origines de la topolignée seigneuriale remontant à Guillaume Ier (c. 1030-c. 1095) et qui garde sous son contrôle trois castra situés de part et d’autre de la Manche: Briouze (en bordure du marais du Grand Hazé), Bramber (dans l’estuaire de l’Adur) et Radnor (sur un éperon rocheux de la Radnor Forest). Ce dominium décentré oblige le lignage à traiter avec plus ou moins de bonheur avec différents établissements bénédictins (Lonlay, Saint-Florent de Saumur et son prieuré castral de Saint-Pierre de Sele, la Sainte-Trinité de Fécamp) et d’entretenir actif un réseau de parenté et de fidélité au sein d’un entourage seigneurial qui doit "gérer la dispersion des richesses foncières" qui se caractérisent par ce polycentrisme territorial.

La deuxième partie (1175-1211) s’attache à suivre l’expansion du lignage dans la marche de Galles où celui-ci achève de s’établir, formant peu à peu un ensemble territorial assez solide qui permet à ses membres de devenir, avant la fin du XIIe siècle, gardiens et protecteurs de châteaux placés en situation de marche. Au sein de ce groupe, se dégage la figure bien documentée de Guillaume III, chevalier tour à tour présenté comme un seigneur violent envers les élites et les populations locales qu’il côtoie dans cette région frontalière, et comme un guerrier dévot, bienfaiteur de certaines églises galloises, mais surtout protecteur de l’évêque de Saint David’s et bienfaiteur du prieuré Saint-Jean de Brecon. L’ascension de Guillaume III est spectaculaire puisqu’il devient le "favori" du roi Jean sans Terre pendant une certaine période (1199-1207), position dont profitent certains de ses parents (frères, fils et filles) avant de connaître une chute dramatique qui se solde par sa disparition en exil et la mort en prison de son épouse et de son fils aîné, alors seigneur en exercice. Si les quatorze enfants qui restent à placer constituent un atout de la puissance de cette parentèle qui a su établir une importante politique matrimoniale, ils n’en sont pas moins à l’origine d’un éclatement du patrimoine familial.

La troisième période (1211-1326) analyse donc les conséquences de ce coup d’arrêt qui se manifeste par la mise en place de deux sous-lignées indépendantes, à partir de 1228, qui conservent néanmoins en commun le patronyme éponyme ainsi que le prénom Guillaume, transmis aux aînés des deux branches. Malgré plusieurs tentatives de reconstruction lignagère, la solidarité entre cousins n’est plus opérante au XIIIe siècle, un autre rapport à la propriété foncière et à la parentèle s’établit alors même que les sociétés anglo-normande et galloise connaissent de nouvelles évolutions. Même si la figure du chef de lignée tente de redorer le blason à travers le choix emblématique d’un lion particulièrement valorisant, même si les vassaux demeurent encore attachés à la personne du seigneur, tout cela n’empêche pas les beaux-frères de se disputer l’héritage du Gloucestershire ou de voir les Despenser et les Briouze se déchirer pour le Gower, ce qui entraîne à terme l’intervention du roi Édouard II. La branche aînée s’éteint en 1326 avec la mort de Guillaume VII.

C’est donc une histoire familiale qui nous est racontée sur neuf générations, à partir de l’exploitation rigoureuse de la collecte de 1627 documents conservés dans des fonds d’archives qui sont à l’image de la polycentralité analysée dans ce travail à l’écriture soignée et à l’érudition sans faille. Au-delà des parcours individuels et des stratégies lignagères menées par les Briouze, c’est également une histoire sociale et politique solidement arrimée à un espace qui dépasse les frontières naturelles qui nous est proposée dans cet ouvrage. Cette large investigation offre un cadre de réflexion assez ample et un élément de comparaison qu’il sera possible de proposer comme contrepoint à l’étude d’autres lignages contemporains, lorsque toutefois le corpus documentaire permettra une telle analyse d’envergure. Les quatre annexes réservées en fin d’ouvrage le démontrent. Signalons celle constituée d’un catalogue des actes émis par les seigneurs de Briouze (p. 407-411), suivi de la liste des possessions anglaises de l’ancêtre éponyme qui fut établie dans le Domesday Book (p. 413-422) ainsi qu’une enquête de 1319 relative aux terres détenues par Guillaume VII, seigneur de Gower. 47 figures illustrent le propos général, lequel est agrémenté de 9 tableaux de filiation, de 13 cartes et de 6 graphiques. Cet ouvrage constitue donc une référence pour tout médiéviste s’intéressant aux histoires de famille et à la mobilité de leurs membres.

Je terminerai cependant par une modeste réserve en ce qui concerne un parti-pris que je ne m’explique pas, à savoir le choix du dessin réalisé par l’auteure pour faire apparaître les empreintes de sceaux dans cette publication qui bénéficie d’une large surface éditoriale. C’est, à l’arrivée, 17 représentations graphiques qui sont offertes, à chaque fois sans qu’aucun cliché photographique de la marque conservée ne soit livré. Plus qu’une restitution, un dessin est plus souvent une interprétation qui tend à gommer des éléments de petites dimensions observés par un examen patient et attentif. Or, en sigillographie et dans le domaine de l’emblématique, les détails sont particulièrement signifiants; ils peuvent modifier la lecture partiellement produite d’une marque de cire et orienter sensiblement les résultats de l’analyse. Il est donc évident que les dessins d’empreintes ne peuvent figurer qu’en accompagnement complémentaire des clichés de ces dernières, quel que soit leur qualité esthétique ou leur actuel état de conservation.