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23.04.09 Gragnolati et al. (eds.), The Oxford Handbook of Dante

23.04.09 Gragnolati et al. (eds.), The Oxford Handbook of Dante


À l'occasion du 700ème anniversaire de la mort de Dante, les prestigieuses Oxford University Press lui offrent un Handbook de 741 pages, composé en 7 sections, par 44 auteurs issus de disciplines différentes et qui constitue à ce jour une somme et un état de l'art des études dantesques le plus pointu.

Le volume est extrêmement bien construit et touche tous les aspects de l'oeuvre de Dante avec des regards pluridisciplinaires, est amené par une présentation (xi-xviii) de chaque auteur où l'on voit avec bonheur se côtoyer des spécialistes du monde entier (Italie, Angleterre, France, États-Unis, Canada, Allemagne…), récents et plus anciens, dans un dialogue générationnel qui montre à quel point l'objet d'études qu'est Dante est vivant et transcende les frontières. La liste des éditions et traductions (xix-xx) et celle des illustrations (xxi-xxii) placées en début d'ouvrage est très utile. L'introduction par les curateurs du volume (xxiii-xxxv) présente l'organisation de l'ouvrage et notamment l'articulation des sections entre elles, ce qui permet, comme dans une encyclopédie d'aller d'un item à l'autre sans forcément les suivre cursivement. Enfin des index, classiques, passages cités, noms, concepts et lieux (719-741) terminent l'ouvrage pour permettre un meilleur repérage dans la somme du livre.

La première section “Texts and Textuality” (3-110) se concentre sur l'auteur, sa biographie et son (auto)biographie telles qu'elles apparaissent dans les textes qui nous sont parvenus. Lina Bolzoni revient notamment sur la Vita Nova et le Convivio (17-34) textes de jeunesse, relus par Dante lui même a posteriori et précurseurs de la philosophie à l'oeuvre dans la Divine Comédie. Le regard des auteurs successifs, comme Boccace, sur la Vita Nova débute le chapitre de Luca Fiorentini (79-95). Intitulé “Commentary (both by Dante and on Dante)”il fait la lumière sur les réseaux interprétatifs qui ont permis de construire une oeuvre et de lui donner une cohérence, voire une téléologie. En effet l'analyse des commentaires sur l'oeuvre de Dante, dans sa postérité, mais aussi par lui-même, permet de voir comment le poète s'est construit une figure de poète novateur a posteriori, dans une attitude très moderne qu'on pourrait presque qualifier d' “auto-fiction” à visée, et Luca Fiorentini le souligne, apologétique (95). La section sur les textes se termine par un chapitre sur “Digital Dante” qui fait le point sur toutes les initiatives numériques à propos de Dante depuis 2011, y compris les jeux vidéos, et présente un nouveau projet qui sera centré sur le rôle du lecteur dans le texte dantesque.

La deuxième section, intitulée “Dialogues” (111-210) fait un point très détaillé, en cinq chapitres, sur l'intertextualité dantesque avec les sources classiques (111-126), les sources contemporaines françaises le Roman de la Rose (127-141) et les Troubadours (142-157) et italiennes, la poésie lyrique italienne médiévale (le dolce stil novo) (158-172) ainsi que la culture “comique” (173-187) et la culture visuelle (188-210). Cette section est extrêmement utile dans un livre tel qu'un handbook à la fois pour les chercheurs et les étudiants qui travaillent sur Dante. En effet loin de simplement synthétiser les travaux connus précédemment, elle renouvelle l'approche aux sources et à l'intertextualité mais aussi à l'interdisciplinarité. Reprenant les grandes étapes de la critique (Contini, Imbach, Bakhtin...), les auteurs de cette section vont plus loin en proposant de relire toutes les oeuvres de Dante et pas seulement la Commedia à la lumière de nouvelles disciplines. La linguistique mais aussi l'histoire sociale sont convoquées par exemple pour relire à la fois le chant XI du Purgatoire, le De vulgari eloquentia et la Vita Nova XVIII (164-165) sur les rapports entre Dante et le Dolce Stil Novo. Sur la culture “comique,” les auteurs vont chercher du côté des Goliards, mais aussi de Rustico Filippi ou de Geoffrey de Vinsauf, non pas de l'influence simple qu'ils auraient eu sur Dante mais comment ce dernier, dans une dialectique de l'innutrition et de la création, a utilisé ce savoir et ce dialogue pour créer son propre langage poétique “comique,” on pourrait dire “bas,” pour décrire et mieux blâmer les vices. Le chapitre sur la culture visuelle permet également de lire les oeuvres, notamment la Vita Nova et le Paradis sous l'angle des images et des visions représentées mais met également à disposition du lecteur des représentations de tableaux (Giotto, p. 202-203, Duccio p. 204-205, Giovanni del Biondo, p. 206) de scènes devenues canoniques de vision (vision de saint Benoit, pèlerins d'Emmaüs) et de les comparer aux textes de Dante. C'est alors que le dialogue entre le texte et les images prend tout son sens lorsqu'on ne peut que constater les correspondances entre le langage visuel de l'époque contemporaine ou légèrement postérieure à Dante, et le langage poétique de ce dernier. Le dialogue des arts permet de dépasser la simple communication.

La troisième section, “Transforming Knowledge,” fait le tableau de toutes les sciences abordées par Dante ou avec lesquelles il a pu avoir des interactions : l'encyclopédisme (211-226), la médecine (228-241), la “théorie visuelle” (242-256), le droit (257-269), la politique (270-286), la philosophie et théologie (287-301), la religion (302-317), la poésie (318-336). Les meilleurs spécialistes actuels de chacune des disciplines (Franziska Meier, Natascia Tonelli, Diego Quaglioni, etc.) font le point par une analyse des textes dantesques en prenant soin de tous les étudier et non pas seulement la Commedia comme on en a l'habitude. Il ne s'agit pas dans un compte rendu de résumer les chapitres mais il faut pousser le lecteur à se plonger dedans et c'est le cas ici: problématiques larges, extraits bien choisis et commentés, contextualisation de l'oeuvre de Dante dans la culture et les sciences de son époque, tout concourt à faire de ces chapitres des petites sommes de critique dantesque. À cet égard l'analyse du passage extrêmement connu et cité sur l'autore dans le Convivio est relié à la théorie linguistique de Dante comme théorie sur le langage et permet de voir comment, à une époque évidemment où la linguistique n'existe pas, les jeux que l'on remarque sur la langue ou le son font l'objet d'une tentative d'explication du sens.

La quatrième section“Space(s) and Places”(337-446)regroupe des études sur les mondes de Dante, pour reprendre le dernier de ces chapitres (431-446). En effet sont d'abord étudiés les mondes réels autour de Dante, Florence et Rome, et l'attitude du poète dans ses oeuvres à l'égard de ces deux villes (villes haïes, mythologisées, rêvées, décrites, anciennes ou futures), les mondes intellectuels, entre civitas et communauté puis les mondes géographiques, la Méditerranée ou l'Est. Le monde hostile de l'exil, dans lequel Dante a passé presque toute sa vie, est évoqué également. Cette section, comme les autres, est très complète et regroupe des auteurs spécialistes ayant publié depuis longtemps sur Dante (Johannes Bartuschat) ou plus récemment (notamment Giuliano Milani et Elisa Brilli auteurs en 2021 d'un Vies nouvelles de Dante, biographie intellectuelle tout à fait novatrice).

La section suivante, la cinquième, “A passionate selfhood” (447-512) est peut-être la plus difficile d'accès pour des non-spécialistes car elle étudie des disciplines comme l'eschatologie, l'anthropologie, la mystique, qui ont trait à la philosophie, et nécessitent des connaissances en philosophie et littérature antique et médiévale importantes que Dante possédait. Néanmoins cette section nous permet d'entrer au plus près de l'auteur Dante et de la conscience qu'il avait de faire partie de la culture de son temps et surtout d'en être un acteur d'importance. Le chapitre “Bodies on fire” (494-509) met l'accent sur les théories concernant les rapports de l'âme et du corps à l'époque de Dante et montre comment ce dernier, tout au long de la Commedia, et pas seulement dans l'Enfer où on sait bien que les corps sont très présents dans les supplices, propose une théorie de la vie humaine entre déterminisme et liberté (508).

La sixième section “A non-linear Dante”(513-582) est la plus brève et revient en quatre chapitres sur les difficultés qu'on a justement à classer Dante dans des cases disciplinaires. Comme le souligne le premier chapitre, la narration par exemple semble échapper, avec ses différents ordonnancements de lecture, à la linéarité du récit et pourtant il y a des trajectoires racontées! Le second chapitre insiste sur les palinodies et les traces (529-545) que l'on trouve dans laCommedia et propose une lecture de l'oeuvre comme une série de palimpsestes, parfois même anachroniques (p. 544 est évoqué le « pétrarquisme » de Dante!). Enfin les deux autres chapitres portent sur la poésie lyrique et sur l' “errance” poétique, c'est-à-dire essaient de montrer comment se construit une oeuvre poétique a posteriori par le regard même du poète sur son cheminement et sa volonté de redonner une direction, une unité, une cohérence parfois forcée, à ses productions éparses et notamment en s'appuyant sur la Vita Nova. On pourrait presque relever ici que le terme amorosa erranza est celui qu'on retrouve dans le giovenil errore de Pétrarque! La dernière section, enfin, “Nachleben” (583-718) est composée d'études sur les traductions, les relectures de Dante dans les arts de la scène, à l'écran, à l'époque moderne, mais aussi dans ses liens avec la Shoah ou la littérature caribéenne, sans oublier les lectures queer, décoloniale et féministe. Cette partie réussit la prouesse de toucher des disciplines et des axes de lecture très contemporains tout en restant de facture très classique, dans le registre de la “postérité,” de l' “influence,” ce qui en réalité permet de lire ces chapitres même sans connaître forcément très bien le domaine concerné. On découvre des influences et des relectures qui font vraiment sens et qui ont pu échapper à la critique jusqu'ici. Si les rapports entre Dante et la Shoah lus à travers Primo Levi, notamment, semblent finalement évidents, les liens avec la poétique caribéenne ne le sont pas de prime abord. Et pourtant le chapitre illustre parfaitement finalement l'universalité atteinte par l'oeuvre dantesque qui permet des relectures tout à fait pertinentes dans d'autres sphères littéraires. Dante queer et féministe fonctionne tout aussi bien et il faut remercier les collègues de nous ouvrir les portes vers d'autres disciplines qui dialoguent avec une oeuvre médiévale.

En conclusion ce beau volume est un ouvrage nécessaire qui vient présenter une somme des connaissances sur Dante par les meilleurs spécialistes actuels: il sera plus qu'utile aux étudiants, permettra aux collègues de trouver en un seul endroit l'état de l'art des études dantesques et pourra même permettre aux amateurs éclairés de se diriger, guidés, sans se perdre, dans le monde de Dante.