Une philologue, bien connue pour ses travaux de paléographie, de codicologie et de littérature byzantines, et un historien d'art, spécialiste des images en circulation à Byzance, ont réuni autour d'eux une vingtaine de collaborateurs pour analyser le manuscrit Vaticanus Gr 752 sous tous ses aspects: le manuscrit, le texte biblique des Psaumes qu'il propose, la chaîne qu'il contient, les 220 miniatures qui l'illustrent. Ces dernières ont été étudiées, il y a trois quarts de siècle--par E. T. De Wald, [1] et, plus récemment, par I. Kalavrezou, N. Trahoulia, and S. Sabar [2]--dont le titre énonce bien la thèse. De son côté, la chaîne a fait l'objet des analyses d'A. Schenker. [3]
Le volume se compose d'une introduction et de trois parties de longueur comparable, qui concernent successivement le manuscrit et son contexte; les textes, d'abord le texte biblique, ensuite le texte du Commentaire; enfin les images. Au fil des pages sont reproduites de nombreuses miniatures, qui donnent lieu à commentaire.
L'introduction rédigée par les deux éditeurs (21-40) dégage les enjeux de la recherche collective menée dans le volume: le manuscrit, que les tables pascales des folios 1 à 2v permettent de dater de 1059, provient-il de la Capitale ou d'un lieu périphérique, voire d'Antioche? A-t-il une origine monastique et peut-on en particulier le relier au monastère du Stoudion? Comment s'insère-t-il dans les événements qui lui sont contemporains, les relations entre l'Est et l'Ouest à cette période, le schisme de 1054, le conflit qui a opposé l'empereur au patriarche Michel Cérulaire? Comment interpréter les images? David est-il une figure négative du pouvoir impérial? Renvoie-t-il à l'Empereur ou à un potentat local? Le pape Sylvestre est-il une figure de Michel Cérulaire? Les fils de Koré sont-ils la figure des schismatiques? Pourquoi les images et la chaîne sont-elles sur le même plan dans la mise en pages? Les images commentent-elles la chaîne ou les Psaumes ou les deux? Le codex est-il une critique visuelle de l'Empereur et de son rapport à l'Eglise byzantine? Défend-il l'idéologie stoudite de résistance à l'intervention impériale? Pour finir, les deux éditeurs soulignent la nécessité d'éditer en ligne le codex pour permettre de futures recherches.
La partie I sur le manuscrit et son contexte se compose de 4 articles: F. d'Aiuto, "Il Vat. gr. 752: Fattura materiale, scrittura, mise en page (con qualche osservazione sul Salterio Hierosol. S. Sepulcri 53)" (3-156) [le codex n'a pas été confectionné pour la cour impériale, et il est peu probable qu'il provienne du monastère de Stoudion, mais son origine monastique est probable; l'article s'achève sur un ADDENDUM où l'auteur énonce ses accords et ses divergences avec G. R. Parpulov [4]]; A. Acconcia Longo, "Il 'Poema' di introduzione del Salterio Vat.gr. 752," (157-178) [les 22 vers du poème dédicatoire sont faits de 4 compositions iambiques de 5, 6, 4 et 7 vers et sont connus dans d'autres manuscrits; l'auteur donne une édition critique du texte et une traduction italienne; une traduction anglaise figure dans l'introduction (22-23)]; D. Krausmüller, "Codex Vat.gr. 752: Some Remarks about its Pictorial Programme and its Historical Context" (179-192) [il n'y a pas d'images pouvant être interprétées comme reflétant une controverse entre l'empereur et le patriarche; elles vont plutôt dans le sens d'une volonté de réconciliation ; le traitement à égalité des évêques et des moines dans les miniatures plaide en faveur d'une origine monastique]; Ch. Gastgeber, "The So-Called Schism of 1054 and its Impact on Byzantine Society" (193-225) [présentation des acteurs, Michel Cérulaire, Léon d'Ochrida, Nicétas Stethatos, le parti stoudite, le patriarche Pierre d'Antioche, Constantin IX Monomaque et son allié Argyros, Michel Psellos, le pape Léon IX et le cardinal Humbert; les réseaux et leurs variations; les alliances].
La partie IIa sur le texte biblique est faite de deux articles: E. Varden, "Cum David versari: The Psalter as Acquired Self-Expression" (229-240); S. Gillingham, "David and Christ Sing the Psalms: The Psalter as Prophecy and Liturgy" (241-259). Ce dernier article dégage avec raison le rôle de David comme prophète du Christ, mais on regrette que la question du texte même des psaumes ne soit pas abordée dans cette partie: le codex donne-t-il accès au texte byzantin des Psaumes, ou à un autre texte? Le texte des Psaumes cités par les auteurs de la chaîne est-il identique au texte des Psaumes proposé par le codex? Ces questions sont en fait abordées brièvement par le premier article de la partie IIb.
Cette partie sur le texte du Commentaire comporte six articles: R. Ceulemans, "The Catena of Vat. gr.752 (with an Appendix on Giovanni Mercati's Unpublished Notes on the MS)" 261-300) [article qui présente clairement les analyses de G. Karo-H. Lietzmann et de R. Devreesse, puis celles d'A. Schenker et de G. Dorival, dont les accords et les divergences sont analysées; sur la question de savoir si le manuscrit présente la chaîne originale (A. Schenker) ou s'il est l'héritier d'une chaîne constituée un peu auparavant (G. Dorival), l'auteur donne raison au premier; on apprécie l'hommage rendu à Giovanni Mercati, dont les notes inédites sont résumées]; S. J. Voicu, "How Many Authors? Hesychius on the Psalms" (301-327) [le texte publié par le cardinal Antonelli sous le nom d'Athanase en 1746, et qui est la source principale de la chaîne, revient à Hésychius; trois œuvres consacrées aux Psaumes sont attribuées par les manuscrits à cet auteur, deux séries de gloses et un commentaire; mais ces trois œuvres ne peuvent revenir à un même auteur, parce qu'elles donnent des exégèses différentes d'un même verset ou d'un même mot des Psaumes; mais l'auteur ne tient pas compte du fait que la première série de gloses est antérieure à 412 et s'adresse à des moines, tandis que la seconde est postérieure à cette date et vise un public de prêtres et de laïcs vivant à Jérusalem]; B. Crostini with M. Fincati, "Hesychios of Jerusalem's Prologue to the Psalms Revisited in the Light of Vat.gr. 752 and its Illustrative Programme" (329-382) [édition, traduction et analyse du prologue au Commentaire des Psaumes--qui ne figure cependant pas dans le codex, ce prologue insiste sur l'attribution des Psaumes au seul David--une thématique qui se retrouve dans les images]; M. A. Barbara, "Note sulla tecnica redazionale dei Commenti scoliastici di Esichio di Gerusalemme" (383-413) [l'auteur est d'accord avec mon hypothèse selon laquelle les chaînes sur les Psaumes constituées de scholies étaient à l'origine disposées sur deux colonnes d'écriture, la première donnant le texte des Psaumes et la seconde, le texte des scholies]; S. Tampellini, "Il Commentario in Leviticum di Esichio di Gerusalemme. Annotazioni introduttive sul alcuni aspetti e problem riguardanti il testo" (415-430) [le Commentaire sur le Lévitique attribué à Hésychius a été écrit en grec avant d'être traduit en latin]; T. Fernandez, "The Greek Fragment of the Commentary on Leviticus by Hesychius of Jerusalem" (431-433) [brève présentation du fragment grec du Commentaire sur le Lévitique].
La partie III sur les images est faite de 7 articles: G. Peers, "Process and Meaning: Penitence, Prayer and Pedagogy in Vat. gr. 752" (437-465) [l'auteur est en désaccord avec la contribution d'I. Kalavrezou, N. Trahoulia, S. Sabar de 1993, qui interprétait le codex seulement en termes idéologico-politiques mettant en valeur les péchés des gouvernants et la droiture de l'Eglise et des évêques; mais les miniatures insistent aussi sur l'instruction, la pénitence et le pardon; David est moins le modèle du gouvernant imparfait qui doit reconnaître l'autorité du grand prêtre que celui du chrétien pécheur qui doit attendre toujours la miséricorde divine]; M. Kominko, "Make Music with Understanding: Music, Musicians and Choristers in the Miniatures of Vat. gr. 752" (467-491) [les fils de Koré ne sont pas la figure des schismatiques, mais celle des pécheurs miraculeusement sauvés]; C. J. Hilsdale, "The Limits of Visual Polemicism in Vat.gr. 752" (493-516) [il est difficile de comprendre le codex en termes de Miroir des Princes ou de Kaiserkritik]; M. Meyer, "Urban Topographies: Representing Space in Vat. gr. 752" (517-545) [les miniatures évoquent l'urbanisme de Constantinople, ce qui va dans le sens d'une origine constantinopolitaine du document; mais d'autres données ne vont pas dans ce sens]; N. S. Trahoulia, "Vat. gr. 752 and Vat. gr. 1927: Related Manuscripts?" (547-567) [la réponse est oui, avec des nuances]; D. Reilly, "Meditation, Translation, the Liturgy, and the Medieval Illustrated Psalter in the West" (569-608) [présentation des psautiers illustrés d'Occident]; T. Janz, "Afterword" (609-611) [la réalisation de la mise en ligne du codex est indispensable].
Le volume s'achève par trois listes et index qui en font un vrai instrument de travail. Un index des auteurs modernes aurait été le bienvenu.
Au total, le codex reste une "énigme," comme le soulignent plusieurs auteurs. Il a reçu des interprétations totalement ou partiellement contradictoires, tant en ce qui concerne le milieu qui l'a produit que le lectorat auquel il s'adresse. A-t-il une portée plutôt politique ou plutôt spirituelle? Plusieurs des auteurs avouent leur perplexité (par exemple, G. Peers et M. Meyer). Pour aller plus loin, il est nécessaire que des recherches soient menées collectivement selon des perspectives différentes. Voilà pourquoi on attend avec impatience que le projet de mise en ligne du document soit réalisé.
-------- Notes:
1. E. T. De Wald, The Illustrations of the Manuscripts of the Septuagint, Vol. III Psalms and Odes (Princeton: Princeton University Press, 1942).
2. I. Kalavrezou, N. Trahoulia, and S. Sabar, "Critique of the Emperor in the Vatican Psalter gr. 752," Dumberton Oaks Papers 7 (1993): 195-219.
3. A. Schenker, Hexaplarische Psalmenbruchstüke. Die hexaplarischen Psalmenfragmente der Handschriften Vaticanus graecus 752 und Canonicianus graecus 62 (Fribourg: Ruprecht, 1975); idem, Les chaînes exégétiques grecques sur les Psaumes. Contribution à l'histoire d'une forme littéraire (Leuven: Peeters, 1986, 1995), 1:75-79; 4:54-94, 98-113.
4. G. R. Parpulov, Toward a History of Byzantine Psalters (Plovdiv, 2014), 122-126.