Ce livre est la version anglaise remaniée d'une thèse de doctorat préparée sous la direction du professeur Vincent Múcska et soutenue en 2009 à l'université Comenius de Bratislava. Il illustre le rapprochement entamé depuis une vingtaine d'années entre chercheurs et institutions de recherche répartis dans les différents États d'Europe centrale: l'auteur, formé à la notion de rituel à l'Université d'Utrecht par Anna Adamska et Marco Mostert, a bénéficié des conseils des professeurs János Bak (Central European University) et Zbigniew Dalewski (Académie polonaise des Sciences), ainsi que de ceux de nombreux autres chercheurs hongrois, polonais, roumains.
Point de départ de l'ouvrage, le récit de la restauration en 1044 de Pierre Orseolo sur le trône de Hongrie par l'empereur germanique Henri III, sorti vainqueur de l'affrontement de Ménfő, rassemble tous les rituels de communication possibles au Moyen Âge, selon Dušan Zupka. Cet épisode lui fournit l'occasion de souligner le rôle primordial des rites dans l'exercice du pouvoir à cette période, à l'ouest du continent aussi bien qu'en Europe centrale. Il se propose donc "d'explorer les occurrences et fonctions des rituels comme moyens de communication symbolique au Moyen Âge précoce et central" (14), ceci en choisissant comme terrain d'observation la Hongrie arpadienne (XIe-XIIIe siècle), jusqu'à présent négligée dans l'historiographie.
Le premier chapitre effectue une salutaire mise au point terminologique et méthodologique. Dans le sillage de Jan Snoek, l'auteur adopte une définition "ouverte" de la notion de rituel. Il en reconnaît explicitement la "dimension religieuse et sacrée" (19), tout en signalant la mise en relief de leur dimension profane depuis l'impulsion donnée aux "études de(s) rituels" par les anthropologues, ethnologues et sociologues, de même que leur fonction d'outil de communication (medium).
Les quatre chapitres suivants examinent tour à tour chacune des formes ritualisées de communication politique repérables dans les sources hongroises. Parmi les rituels monarchiques, objet du chapitre 2, le cérémonial du couronnement est volontairement laissé de côté en raison de l'abondance des publications sur ce thème et des béances de la documentation locale jusqu'au XIVe siècle. L'auteur se concentre sur des rituels moins connus, telle l'obligation pour les conseillers entourant le souverain d'être assis en sa présence. Il s'attarde sur les apparitions du roi tête couronnée (à bien distinguer de la cérémonies de couronnement--Erstkronung, par opposition à l'Unter-krone-gehen et au Festkronung) et plus généralement sur les répétitions en mode mineur du couronnement initial. Au-delà de leur valeur spectaculaire ou festive, ces mises en scène avaient pour fonction d'affirmer la supériorité de la personne et de l'autorité royales. L'auteur voit dans les cérémonies d'acclamation liturgique (laudes regiae), attestées en Dalmatie à partir du tout début du XIIe siècle la traduction visuelle de l'acceptation de la domination hongroise par l'élite urbaine croato-dalmate.
Les rituels de réconciliation apparaissent comme un ultime recours lorsque les moyens "classiques"--la confrontation militaire--échouent à trancher un conflit, notamment successoral. Ils font une large place au baiser de paix (osculum pacis), dont on connait les résonnances évangéliques et féodales, de même qu'aux offrandes mutuelles et à l'échange d'otages. Cette dernière pratique n'est-elle pas le signe de ce que les contemporains doutaient néanmoins de l'efficacité de ces pratiques? De fait, les "paix" entre rivaux pour le trône de saint Étienne ou avec l'empereur germanique n'ont duré qu'un temps. Les rituels de soumission, examinés dans le même chapitre 3, mêlent quant à eux éléments pénitentiels (pieds nus) et de subordination (prostration). Les attitudes de supplication, avec larmes et gémissements, s'ils marquaient l'infériorité du suppliant, et donc la majesté du souverain, engageaient conjointement ce dernier à faire preuve de miséricorde.
Les chapitres 4 et 5 décrivent tour à tour les entrées royales dans une ville--où se combinent rituels monarchiques et rituels urbains--ou encore dans un monastère (adventus regis), puis les rencontres royales ou princières. Ils révèlent que, comme les souverains occidentaux, les princes d'Europe centrale connaissaient dès le XIIe siècle les potentialités politiques de ces rituels inspirés d'usages romains, byzantins et francs.
À rebours de la tendance à la "déconstruction" des récits médiévaux, qui privilégie l'étude des schémas narratifs en mettant en doute leur valeur de témoignage factuel, Dušan Zupka considère que les rituels décrits par les chroniqueurs ne sont pas le simple fruit de leur imagination ou de la volonté de leur souverain. La consultation d'autres sources (diplomatiques et iconographiques) prouve, au moins dans certains cas, que les scènes qu'ils relatent ont bien eu lieu telle qu'ils les ont décrites. Ceci posé, l'auteur constate que les princes arpadiens ont largement usé de la communication symbolique dans l'exercice de leur pouvoir, tout particulièrement en période de crise. En l'espace de six ans (1058 à 1064), Salomon Ier se soumit ainsi à trois rituels de couronnement différents pour se maintenir sur le trône. Troisième conclusion: le poids des modèles occidentaux, francs notamment, se ressent partout, même s'il n'exclut pas des effets d'imitation venus de Byzance et des adaptations. Sans doute ces modèles ont-ils été introduits dans le pays par les conseillers étrangers des rois de Hongrie, ou par les princes arpadiens ayant séjourné dans des cours étrangères. Se confirme au passage la profonde similitude des usages politiques et diplomatiques de Hongrie, Pologne et Bohême qu'avait déjà relevée par Zbigniew Dalewski: ils s'appuient sur la même idéologie monarchique--que l'auteur synthétise par un tableau très éclairant sur les vertus du souverain qu'elle exalte (ordo, pax, iusticia, pietas) (195).
On pourra regretter la tendance au catalogue des quatre chapitres qui forment le cœur du livre et la présence de nombreuses redites. L'auteur utilise une édition périmée du Rerum Ungaricarum decades, au lieu de celle d'I. Fógel, B. Iványi et L. Juhász. Les propositions stimulantes de Nora Berend et de ses collaborateurs du Central Europe in the High Middle Ages (CUP, 2013) sur les motifs des chroniques hongroises n'ont, curieusement, pas été prises en considération. Dans l'ensemble, l'engagement pris en introduction de mener l'analyse à deux niveaux, n'est pas entièrement tenu: l'auteur s'attache aux rituels décrits par les contemporains des événements (ou par leurs continuateurs), bien plus qu'à l'usage politique des récits qui en a été fait par les dirigeants du moment. On touche ici à ce qui constitue le talon d'Achille de ce travail par ailleurs bien mené: il s'appuie sur un socle documentaire composé pour l'essentiel de chroniques rédigées plusieurs décennies ou siècles après les faits, et en plusieurs strates, à savoir la "Composition de chroniques du XIVe siècle" et la "Chronique hungaro-polonaise," deux œuvres dont la datation et la généalogie, voire l'authenticité, demeurent problématiques. L'auteur l'admet en introduction mais il n'en tire pas les conséquences méthodologiques attendues. Au total, si ce travail a le mérite de rendre intelligible plusieurs épisodes célèbres de l'histoire médiévale hongroise par la mise en relief de leur trame rituelle et symbolique, il ne parvient pas à démêler totalement ce qui relève de la propagande des commanditaires des chroniques de ce qui se rapporte aux faits.