Le bas Moyen Age voit les cités et leur université ou communauté, comme l'indique le titre, aux prises avec de nombreux problèmes, démographiques, politiques, économiques, sociaux et religieux. L'auteur fait de la ville de Lincoln, située entre York et Hull, d'une part, et Stamford et Leicester, de l'autre, sur la côte nord-est du royaume d'Angleterre, dans la région des Midlands, une étude de cas confortée par une documentation d'une grande richesse. L'étude porte à la fois sur les réponses que la communauté apporte aux problèmes du temps, mais aussi sur les relations avec le gouvernement central, aussi bien dans les domaines économiques que financiers et fiscaux. La capacité de ce type de cité à répondre assez rapidement aux malheurs du temps, forme de résilience, s'explique par un bon positionnement artisanal, commercial et financier. Les fondations du gouvernement urbain et l'émergence de confréries locales relèvent plus largement de la culture locale, assez faiblement influencée par la Peste noire, événement considéré pourtant comme un tournant majeur dans l'histoire urbaine du bas Moyen Age. Le gouvernement urbain doit donc s'adapter au contexte général marqué par les épidémies, la famine et la guerre.
L'ouvrage d'A. Kissane est composé d'un texte de 238 pages et de riches annexes portant sur les sources, les offices civiques de Lincoln, les membres du Parlement, les confréries et les fondateurs d'anniversaires (chantry). L'ouvrage se termine par une bibliographie d'une vingtaine de pages, distinguant les sources originales des sources publiées d'un côté, et les ouvrages et articles qui traitent de la question urbaine, essentiellement anglaise, de l'autre. On regrettera, à titre comparatif, l'absence d'ouvrages généraux propres au continent. Un index général, qui regroupe les lieux, les personnes et les choses (rerum) clôt cet ouvrage qui contient une dizaine de cartes, générales ou davantage centrées sur la ville elle-même, ainsi que de nombreux tableaux, nourris de la documentation sérielle offerte par les nombreux comptes centraux. La problématique générale tourne autour des conséquences de la Peste de 1349, mais pour affiner son analyse, l'auteur replace l'événement dans le contexte plus général de l'histoire urbaine anglaise. Le terminus a quo débute par la privation des libertés urbaines en 1289, vite récupérées en 1299, le terminus ad quem renvoit à la création d'un statut de comté au début du XVe siècle.
Le livre est ainsi divisé en deuxgrandes parties: - la première des chapitres 1 à 3 offre une analyse démographique, économique et fiscale de la cité en mettant le focus sur la structure de son artisanat, puis sur les caractères généraux du commerce et des finances municipales. Cette analyse s'appuie sur un large corpus de sources provenant du gouvernement central (archives nationales de Londres) portant sur la Chancellerie, l'Échiquier et la Justice, malgré la relative rareté des sources locales sur ces différents points (pouvoir municipal, registres épiscopaux, documents notariés, comptes du doyenné et du chapitre). L'étude des relations ville/couronne s'en trouve ainsi facilitée. - la seconde partie des chapitres 4 à 6 met l'accent sur les aspects socio-religieux, culturels et politiques, sur le développement du gouvernement civique, l'importance des confréries et des anniversaires et leurs liens avec les croyances et coutumes populaires.
Quels en sont les apports majeurs? Comment la cité s'est-elle adaptée aux conditions économiques induites par la Peste et ses diverses? Peut-on parler de déclin économique? Le déclin du textile est certes une réalité aussi marquée à Lincoln que dans d'autres villes, avec cependant une croissance substantielle au cours du dernier quart du XIVe siècle. Est-il lié aux conséquences des changements législatifs dans l'achat et la distribution de la laine sur l'économie de la cité et les décisions commerciales des marchands pendant la croissance et la récession? Si la ville de Lincoln fait l'expérience de difficultés économiques sur une longue durée, elle est cependant reconnue comme un des centres principaux de production d'armes et de parchemin du pays. De même que son rôle comme centre administratif et de services est à l'origine du quart de l'activité. Cela s'explique à la fois par les besoins de l'administration urbaine, mais aussi par les exigences de l'Eglise et de la Couronne. Le pouvoir était partagé entre les trois autorités qui ont juridiction sur la ville: le roi autour du château (le Bail), la Clôture autour de la cathédrale et la cité, tenue par un maire et un conseil de 24 membres au début du XIVe siècle. Leurs revenus sont divers et portent sur toute une série de droits, seigneuriaux, judiciaires et commerciaux (marchés, foire, poids et mesures, etc.), sans compter la fiscalité directe. Si elle compte environ 10000 habitants à l'aube du XIVe siècle, ce qui en fait alors la troisième ville du royaume, le statut de 1423 la reconnaît comme une des 7 capitales provinciales "assay town" (avec York, Newcastel, Norwich, Bristol, Salisbury et Coventry). En somme Lincoln a su s'adapter à l'instabilité environnante.
Comme de nombreux autres centres provinciaux, la ville continue à jouer un rôle important dans l'économie régionale entre 1290 et le début du XVe siècle dans un rayon d'une cinquantaine de km. Jusque dans les années 1330, les marchands de Lincoln contrôlent les deux cinquièmes de toute la laine du conté exportée par Boston. Comme marché et centre financier, elle attire les marchands et négociants, la plupart d'entre eux cherchant du crédit, des produits et de la matière première.
Mais la ville dut s'adapter aussi aux difficultés du temps, comme les années de famine 1315-1317. Durant les années 1330, le crédit se déplace à Lindsey, développement des villages abandonnés (Holland, Kesteven), les régions du sud sont attirés en terme de crédit par Westminster dans les années 1370-1380, développement aidé par une faim monétaire et la décision des marchands importants de Lincoln de cesser leurs investissement dans le commerce du textile. Mais le développement de l'activité autour de la laine entraîne l'augmentation des marchands dans la cité au tournant du XIVe siècle. Le Statut de l'Étape voit une augmentation de la valeur et du nombre des certificats entre 1330 et 1360, mais aussi à travers le volume de textile exporté sur le continent.
Au début du XVe siècle Lincoln se trouve à la croisée des chemins. Elle a un peu plus qu'une industrie textile domestique, mais ne peut jouer le rôle d'un centre financier majeur. Les marchands de Lincoln contrôlent encore un tiers de la laine du comté, qui procure de l'emploi à de nombreux travailleurs locaux. Mais c'est sans compter l'importance de la royauté dans cette ville. Par l'analyse des comptes du Pipe et Memoranda Roll concernant la cité, l'auteur en vient à considérer que la réussite de la cité est bien de payer annuellement la dette de la fee farm à la Couronne. On a longtemps considéré que la période de déclin et de contraction financière et de pauvreté marque l'immédiat après Peste Noire. Cependant c'est en mettant le focus sur l'organisation et le développement de la pratique fiscale locale, que le gouvernement urbain perpétuait une image de sérieux, de bonne gouvernance et de compétence face à la couronne par l'acquittement des impôts royaux sans coup férir. Pour appuyer sa thèse l'auteur se demande jusqu'à quel point la ferme du bourg peut être considérée comme un indicateur utile du commerce et de la vitalité économique des municipalités médiévales? Les déclarations d'une pauvreté urbaine durant le XIVe siècle étaient-elles vraiment sincères? En effet l'argent versé au Pipe et Memoranda Rolls permet de montrer que les villes qui réussissent savent attirer les marchands et les négociants des environs notamment pendant les périodes de changements profonds liées à la Peste. Ces comptes, certes rares, permettent cependant de faire apparaître des tendances. Cela montre aussi que la ville reste centrale pour les besoins de la royauté. Même si elle possédait une économie lainière importante et bien intégrée, elle employait moins de travailleurs dans les autres industries, notamment le tissage. L'importance des fonctions administratives est essentielle même si la ville ne s'endormit réellement qu'au XVIe siècle pour ne s'éveiller que lors de la révolution industrielle. C'est bien pendant la fin du Moyen Age que les relations entre couronne et ville ont été largement collaboratives, consensuelles et avantageuses pour les deux parties, notamment grâce à la volonté de la couronne de développer une société politique efficace.
Sur le plan politique, on note l'émergence d'un gouvernement urbain à partir du milieu du XIIe siècle. Jusque là le gouvernement de la ville était assuré par un bailli. Un conseil de 24 membres apparaît en 1219, avec à leur tête un mayor, développement observé aussi à Winchester, Dublin, Leicester et Exeter. Les deux baillis et le maire étaient choisis parmi les 24. Ce conseil décline après la Peste, car il est difficile d'en conserver le nombre qui varia par la suite entre 15 et 22 membres. Les abus qui ont conduit à la suspension des libertés urbaines à la fin XIIIe siècle conduisirent à l'émergence d'une ouverture des postes administratifs dans une vivier plus large de citoyens et par l'établissement de nouvelles pratiques politiques. Des changements profonds ont lieu au début du XIVe siècle avec l'élection pour une année du maire, ce qui permet de s'adapter aux crises nées de la Peste de façon plus efficace qu'ailleurs (Colchester ou Winchester). Un plus grand nombre d'individus put ainsi atteindre la fonction de maire, sans avoir été bailli ou coroner, après 1349. La conséquence en est la restitution des libertés et l'octroi du statut de comté.
Les conséquences sociales et religieuses sont abordées dans les deux derniers chapitres: fin XIVe siècle il y avait 32 guildes (ou confréries) religieuses et de métiers dans la cité et ses faubourgs. 90% d'entre elles avaient été établies après 1275. Elles jouaient un rôle important dans l'organisation des funérailles des confrères mais aussi dans le remplacement des structures de parenté durement bouleversées. À Lincoln, les guildes sont un élément essentiel de la communauté civique. Le gouvernement urbain a joué un rôle important dans l'élaboration des statuts et la régulation des guildes de métiers, sans compter l'aspect financier grâce aux certificats envoyés par la Chancellerie royale. Les conséquences de la Peste sur le développement des guildes doivent être nuancées: avant 1349, la cité avait déjà établi un riche paysage confraternel, abritant au moins 16 confréries (soit déjà la moitié). Le développement le plus important de ces fondations date des années 1330 qui correspond à une période de récession. Les guildes des années 1330 maintiennent des luminaires mais n'ont pas les fonds pour entretenir un chapelain. Cet aspcet est complété par la croissance et la prolifération d'anniversaires, qui présentent un lien avec le marché de la rente, le rôle de la couronne étant d'accorder les autorisations et l'influence des évêques se limitant à la recherche de chapelains. Même si le nombre d'anniversaires a augmenté entre 1350 et 1360, il retrouve ses niveaux d'avant-peste après 1360. De même les confréries jouent un rôle important après 1349, mais retrouvent très vite une avancée identique à celle des vingt années précédentes, suggérant que famine et récession sont des facteurs aussi importants dans le développement des pratiques confraternelles. Quelles sont les fondations de ces anniversaires dont certains sont perpétuels et d'autres viagers. Expression du statut et de la richesse? Comment les habitants perçoivent-ils ces fondations? Elles font l'objet de nombreux détails dans les testaments. Il n'y a pas de décalages majeurs avec les autres cités sur ce point. L'une des conséquences de la peste est la dépopulation qui sape la stabilité du marché de la rente de la cité et comme conséquence les fondements sur lesquels les anniversaires perpétuels étaient fondés. Le statut social et la richesse sont la clé de la croissance et prolifération des anniversaires, bien que le statut social montre que les plus chères et prestigieuses des fondations furent réservées à un petit groupe d'individus. Ainsi s'établit un lien tangible dans les esprits des habitants de la cité entre richesse, office et piété institutionnelle.
Mais un certain nombre de décisions furent prises par les marchands de Lincoln comme celle de donner la priorité au commerce de la laine sur la production textile qui fit perdre à la ville notamment à partir des premières décennies du XVe siècle son statut de principal centre de crédit des Midlands, au profit de Coventry. Les plaintes proférées à l'égard de la royauté au tournant du XIV-XVe siècle furent exagérées. Il n'en demeure pas moins qu'en 1423 la ville fut reconnue comme une des 7 villes majeures, montrant son importance en termes d'artisanat local, de nouvelles méthodes de fonctionnement (signe de l'effort permanent des officiers de la cité pour se garder du déclin), la royauté faisant tout son possible pour soulager la cité de charges injustes. Au total un livre dense et riche, à la problématique affûtée qui tente d'aborder dans son commentaire les principaux aspects de l'histoire d'un ville d'un peu plus d'une dizaine de milliers d'habitants, qui faisait partie des grandes villes anglaises (la troisième après Londres et Bristol) et européennes à l'aube du XIVe siècle et réussit à rester parmi elles au début du XVe siècle. Pour avoir étudié une cité catalane de la même importance et dans le même contexte, voici près d'un demi siècle, j'avais conclu que la population avait fait preuve d'une capacité d'adaptation assez étonnante, à la différence près avec Lincoln que la cité de Gérone sortait de la crise grâce au développement d'un fort artisanat textile.