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16.11.25, Paden, ed. and trans., Two Medieval Occitan Toll Registers from Tarascon

16.11.25, Paden, ed. and trans., Two Medieval Occitan Toll Registers from Tarascon


Le tarif occitan des péages de la ville de Tarascon en Provence était connu des historiens depuis la première publication qui en avait été faite par l'archiviste Édouard Bondurand, en 1890, à partir du Livre Rouge conservé aux archives de cette ville. L'acquisition d'un second manuscrit de ce tarif par la Newberry Library de Chicago en 2011 a été l'occasion pour l'éminent philologue chicagolais William D. Paden, auteur d'une très estimée Introduction to Old Occitan (New York, 1998), de procéder à une édition critique accompagnée d'une traduction des deux textes qui, fort semblables et issus d'un archétype commun, présentent tout de même de substantielles différences. L'ouvrage, qui s'ouvre sur une brève introduction philologique, codicologique et historique (3-77), contient en outre un très substantiel glossaire des termes occitans (163-237) qui sans doute rendra les plus grands services, aussi bien aux philologues romanistes qu'aux historiens de la Provence, et spécialement à ceux qui s'intéressent à l'économie, au commerce et à la culture matérielle.

Le principal défi de ce travail d'édition tient au problème de la datation non seulement des manuscrits mais surtout des textes de ces tarifs de péages. Les plus anciens documents connus sont, en effet, des tarifs latins, mis par écrit après le milieu du XIIIe siècle et dont les textes ici présentés s'inspirent très largement. Par ailleurs, les deux textes occitans, s'ils ont des contenus semblables, ne sont pas parfaitement identiques. Chacun des deux contient, en effet, des éléments originaux. Il revient à l'éditeur d'avoir montré de manière convaincante, à mon avis, que, si les manuscrits sont tous deux de la première moitié du XVe siècle, les textes qu'ils nous transmettent ne sont pas contemporains. Celui du Livre Rouge de Tarascon serait antérieur à 1325 tandis que celui du manuscrit de Chicago pourrait être daté, à partir d'une série d'indices convergents, des toutes dernières années du XIVe siècle ou de la première moitié du siècle suivant. Ainsi se résoudraient un certain nombre de difficultés posées par les différences entre les deux documents qui, par ailleurs, ayant forcément un archétype commun (le tarif latin du XIIIe? un tarif hébreu attesté mais aujourd'hui perdu?), n'appartiennent pas à la même branche du stemma. Il demeure un doute, cependant, que l'éditeur reconnaît volontiers (8), pour le manuscrit de Chicago, et une datation plus haute (les années 1339-1343) n'est pas totalement à exclure, en raison de la mention de la valeur d'équivalence du denier coronat (42) dont l'introduction (en 1330) était alors tout à fait récente. L'étude linguistique décèle un certain nombre d'italianismes dans le texte le plus ancien, ce que l'on pourrait mettre en association avec le fait que nombre de locataires (fermiers) des péages de la vallée du Rhône, au XIVe siècle, sont justement des marchands italiens installés à Avignon dans le sillage de la papauté. En revanche, l'hypothèse d'une influence dauphinoise ou haut-alpine pour le texte de Chicago paraît fondée sur des indices beaucoup moins probants. La présence, notamment, de la forme aquellos pour aquels (10), n'est pas significative. On la trouve avec la plus grande fréquence dans les textes de la pratique provençale des XIVe et XVe siècle, notamment dans le Regeste des états de Provence (Paris, 2007). La présence des premiers versets de l'évangile de Jean (1:1-14) au début de ce manuscrit, plutôt qu'une intention "semi-magique" (43), donne à penser qu'il a pu servir de livre juratoire, sur lequel les officiers chargés de percevoir les péages auraient été invités à prêter serment, une pratique bien attestée dans le midi de la France, autour, par exemple, des livres de statuts ou même des registres de délibérations communales. En revanche, le manuscrit de Tarascon ne peut pas avoir été copié à l'usage des collecteurs du péage (18), puisqu'il figure au commencement d'un énorme recueil de statuts dont la fonction à la fois symbolique et pratique est beaucoup plus large.

La contextualisation historique (25-39), brève mais très bien documentée, insiste sur l'importance du commerce international dans la vallée du Rhône à la fin du Moyen Âge et sur la diversité des produits offerts sur les marchés, à Tarascon comme à Arles ou à Avignon. La question de savoir s'il existait (ou s'il avait existé) un pont entre Tarascon et Beaucaire est évoquée (28), sans que la documentation existante puisse apporter de réponse satisfaisante. L'hypothèse la plus courante, celle d'un pont de bateaux, ou d'une construction fragile, disparue avant le milieu du XIVe siècle, demeure à mon avis la plus satisfaisante. La place de Tarascon dans un réseau plus global de captation du commerce international traversant la Provence, en revanche, aurait bénéficié de l'étude plus attentive d'une enquête de 1366 qui portait précisément sur le sujet, enquête éditée très confidentiellement dans mon mémoire de maîtrise de 1972, Les péages de Basse-Provence occidentale d'après une enquête de la Cour des comptes de Provence, 1366-1381 (consultable aux Archives départementales des Bouches-du-Rhône, sous la cote 8 F 243).

L'apport le plus significatif de cette analyse, du point de vue proprement historique, tient au souci de l'éditeur de poser le problème de la mise à jour des tarifs au cours des décennies et des siècles (39-49). La fossilisation de ce type de document, largement reconnue par l'historiographie et apparente, par exemple, dans le maintien à 150 ans d'intervalle de la déclaration portée sous le nom d'un "ancien péager," est toute relative. Car le contenu de cette déclaration évolue avec le temps, comme évoluent et sont mis à jour, selon des rythmes temporels variables, non seulement les matières taxées et les tarifs appliqués, mais aussi la configuration géographique des lieux de perception des péages. Cette analyse ne remplacera jamais l'apport documentaires de véritables comptes de péages, comme on en conserve de très nombreux pour la période (mais aucun, fort malheureusement, pour les péages de Tarascon). Elle révèle tout de même un très réel effort de mise à jour de l'assiette fiscale, qui avait jusqu'ici échappé à l'attention des historiens.

Enfin, l'éditeur apporte un grand soin à la confection du glossaire, qui complète très heureusement l'identification des différentes matières soumises au péage jadis proposée par Édouard Baratier, Enquêtes sur les droits et revenus de Charles Ier d'Anjou en Provence (1252-1278) (Paris, 1969), à partir des formes latines. Plusieurs entrées font le point de notre état des connaissances sur des unités de mesure comme le muid (mog) ou la saumée (saumada), sur des denrées de toute sorte ou sur des toponymes, sans cacher, dans ce dernier cas, les incertitudes qui demeurent (comme le péage dit des Mujolans ou les navires de Roda qui sont peut-être, mais pas assurément, de la ville de Rhodes).

Enfin, sur le plan de la forme, on pourrait regretter le déficit iconographique (deux illustrations en noir et blanc seulement) et la présentation déroutante des numéros de folios et de ligne qui ne facilite pas la consultation. Mais ce sont là des défauts bien mineurs. Au total, cet ouvrage répond à un vœu formulé de plus en plus souvent, d'éditer non seulement les grands textes de la tradition littéraire, mais aussi les sources de la pratique, illustratives de la vie quotidienne. Le soin apporté à cette édition et la richesse de son appareil critique réjouiront aussi bien les spécialistes de l'ancienne langue occitane que les historiens des horizons les plus divers.