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16.05.24, Modesto, Dante's Idea of Friendship

16.05.24, Modesto, Dante's Idea of Friendship


L'étude s'inscrit dans ce genre des monographies ponctuelles qui optent pour un traitement du thème de l'amitié chez de célèbres auteurs dont les champs d'étude sont à eux seuls un univers. Il y a bien eu le Pétrarque et l'amitié de Claude Lafleur (2001), le Aquinas on Friendship de Daniel Schwartz (2007). Il y a désormais Dante's Idea of Friendship, en 2015. Le volume, assez court (133 pages de texte dans les notes), se présente modestement. Il ne vise à aucune synthèse novatrice ni inédite. Il ne prétend pas à être un ouvrage érudit. Il n'a pas l'allure d'un travail doctoral. Il se veut une simple et modeste méditation sur l'amitié dans l'œuvre de Dante, à partir de trois écrits: le Convivio, la Vita Nuova, la Commedia dont deux passages sont étudiés, Inferno 2 et Purgatorio 30 et 31.

Au sens strict, il s'agit moins pour l'auteur d'une étude exhaustive de l'amitié que, comme le sous-titre l'indique, d'une observation des mutations du concept classique d'amitié dans la littérature dantesque. Aussi l'auteur structure-t-elle son plan en moments chronologiques de cette histoire classique de l'amitié avec les inévitables séquences: l'amitié chez Aristote; l'amitié chez Cicéron, l'amitié chez Augustin et les premiers chrétiens. Puis elle finit en trois chapitres sur les cercles amicaux de Dante à Florence ainsi que sur les relations entre amitié et amour dans la Commedia. C'est dire que Dante ne sature pas le texte et ne concentre finalement pas toute l'attention. Il est, semblerait-il, plus un prétexte à discourir sur l'amitié, et notamment l'amitié chrétienne, qu'un objet central de la recherche. Les chapitres entendent donc synthétiser, peut-être aussi vulgariser, la recherche depuis un siècle sur la thématique de l'amitié chez les auteurs classiques, antiques et chrétiens. Aussi peut-on lire de grandes généralités sur l'amitié aristotélicienne, cicéronienne, augustinienne dont Dante aurait assimilé le contenu, notamment moral. Rien de nouveau, mais un abord lisible, facile et maniable. Du propos sur l'amitié de Dante lui-même, l'on aura retenu, en somme, une seule et unique idée, celle-là même que scande l'auteur au fil des pages: l'amitié est ordonnée à la charité, comme la vie humaine est ordonnée à la vie céleste, le bonheur terrestre ordonné à la béatitude, la pratique de l'éthique ordonnée à la vie théologale. C'est Virgile qui accompagne le pèlerin jusqu'à Béatrice, figure de la vie spirituelle. Comment alors ne pas lire, dans ce cheminement de l'âme, de l'Enfer au Paradis, l'ensemble de la théologie thomasienne, dont l'auteur dit à quel point Thomas d'Aquin a surdéterminé la pensée de Dante? Rien que de très connu, finalement.

A y regarder de plus près cependant, cette atmosphère thomasienne bien connue pourrait s'avérer, plus discrètement, une lecture thomiste. En effet, de la bibliographie en langue française du moins, que l'auteur a utilisé sur Dante, aucun spécialiste n'apparaît, sinon l'un des plus célèbres des philosophes et exégètes thomistes du XXe siècle, Etienne Gilson, pour qui l'on sait à quel point Thomas reste l'acmé de la pensée philosophique et théologique pour le Moyen Âge, mais qui, pour le coup, n'est pas prioritairement aujourd'hui un spécialiste de Dante. Rien non plus issu de l'historiographie allemande ou suisse, lors même que Ruedi Imbach ou Thomas Ricklin ont édité Dante et commenté son œuvre, ces dernières années, selon les meilleurs critères du savoir érudit, critique et scientifique. C'est que l'auteur s'est concentrée sur quelques études, souvent anciennes, peu diversifiées, très généralistes. Ses faveurs vont à l'ouvrage de David Konstan, Friendship in the Classical World (1997), certes utile mais trop généraliste pour la complexité du sujet. Elle n'hésite pas à citer des auteurs largement dépassés de nos jours, tels Ronald Syme (1939) ou Wilhelm Kroll (1933). Par delà, l'absence de références internationales aux spécialistes sur Dante, et même si Robert Hollander et Giuseppe Mazzotta viennent valider les propos de leur autorité scientifique, il manque également des études circonstanciées sur l'amitié au Moyen Âge ou sur les apports de ces dernières années à l'étude des sources et des problématiques qui ont permis à l'amitié d'être pensée dans le contexte institutionnel, politique et social du Moyen Âge, notamment dans les universités naissantes puis florissantes ainsi que dans les cercles humanistes des grandes villes italiennes ou françaises. Enfin, il manque une réflexion de plus haute portée que la simple mise en miroir de l'amicitia et de la caritas qui aurait pu concerner le contexte de production culturelle d'une telle thématique, dont les travaux de Ruedi Imbach (Dante, la philosophie et les laïcs, Fribourg, 1996), ont bien montré les enjeux d'émancipation d'un lectorat laïque face à la pression d'un cléricalisme grégorien. Comment en effet penser le lien social qu'est l'amitié hors de toute articulation avec la philosophie politique de Dante lui-même, notamment dans son De Monarchia, totalement absent du présent ouvrage? Le livre n'est donc au mieux qu'une simple méditation sur l'amitié chrétienne, au pire un contre-sens sur l'interprétation philosophique de Dante, dont l'auteur ne restitue à aucun moment la sensibilité averroïste pourtant, aujourd'hui, largement avérée.