Skip to content
IUScholarWorks Journals
11.07.08, Mikhail/Vivian/Greer, The Holy Workshop of Virtue

11.07.08, Mikhail/Vivian/Greer, The Holy Workshop of Virtue


Ce nouveau volume des Cistercian Publications a l'avantage de réunir des matériaux dispersés ou peu accessibles concernant une importante figure monastique des déserts égyptiens du Ouadi Natroun au 4e siècle, à savoir Jean le Petit, alias Jean Kolobos, dont le monastère éponyme a été fouillé à la fin du 20e siècle et à partir de 2006 par une équipe de l'université de Yale. Le noyau principal est constitué par une réédition et une traduction anglaise du texte copte (bohaïrique) de la Vie de Jean Kolobos, attribuée à Zacharie, évêque de Sakhā, une ville située dans le delta du Nil, au 8e siècle. Le dossier est complété par une traduction de la version syriaque du même texte et les appendices 2 à 5, qui comprennent respectivement une traduction des fragments coptes sahidiques d'une (autre?) Vie de Jean Kolobos, la traduction de deux apophtegmes grecs concernant Jean avec en regard la traduction d'un texte plus long contenu dans le manuscrit grec Karakallou 251, la traduction du chapitre 73 de l'Histoire Lausiaque (consacré à Eukarpios et où il est question de Jean) et la traduction des deux entrées du synaxaire qui concernent Jean. Les traductions de ces appendices sont faites à partir du français et, dans un cas, de l'allemand. Quant à la version arabe de la Vie, qui est présentée dans l'Introduction et à laquelle il est souvent fait allusion dans le cours de l'ouvrage, elle a fait l'objet d'une édition et d'une traduction de Stephen J. Davis dans Coptica (2008). Bibliographie, index des citations scripturaires et index général constituent la dernière partie de l'ouvrage.

Une Introduction substantielle donne d'intéressants aperçus sur l'histoire du texte, qui est bien davantage une homélie de type panégyrique qu'une biographie, et se présente, comme beaucoup d'homélies coptes du même genre, comme une sorte de compilation faite à partir de sources diverses (apophtegmes surtout, récits édifiants, etc.). Les éditeurs, qui ont pris le soin de diviser le texte en unités narratives numérotées, ce que ne faisait pas la première édition (par É. Amélineau dans Annales du Musée Guimet 25, 1894, 316-413), ont également bien mis en valeur la construction de l'homélie, d'une part en repérant les parallèles dans les recueils d'apophtegmes, parallèles récapitulés dans un tableau synoptique (16-18 : il faudrait ajouter que le § 22, "Miracle of the Well", est parallèle à l'apophtegme anonyme Nau 27, aussi connu par la version copte sahidique, Chaîne 237), d'autre part en dégageant les principes qui ont pu guider la compilation (21-37). Ils restituent ainsi une cohérence à un texte qui paraît souvent artificiel. L'introduction situe aussi les versions arabe et syriaque de la Vie (48-60), la première étant fidèle au texte copte bohaïrique et portant de nombreux signes du rôle liturgique de cette homélie, la seconde, traduite d'un texte arabe manifestement différent, étant caractérisée par une certaine expansion et le souci de rétablir dans le texte des liens narratifs ou logiques qui manquent parfois dans le copte et l'arabe.

A vrai dire, bien des problèmes restent entiers, mais ce n'était sans doute pas la vocation de ce livre que de les résoudre. Par exemple, l'authenticité de l'attribution n'est jamais contestée, alors même que la pseudépigraphie est l'un des phénomènes les plus marquants de la littérature copte. Cette question est importante surtout parce qu'elle est reliée à celle de la langue d'origine du texte, autre question récurrente et complexe, que les éditeurs évoquent en passant (4): "given the complexity of the introductory paragraphs (the Proemium) and Zacharias' fluency in Greek, the possibility of a Greek original should not be discounted". De fait, le texte n'est pas homogène et certains passages "sonnent" plus grec que d'autres. C'est le cas par exemple du § 75, un récit connu par différentes sources, où l'on trouve plusieurs occurrences de la particule de coordination grecque kai ("et"), sous la forme ke, alors que le copte, sauf erreur de ma part, n'emprunte généralement pas kai.

Quoi qu'il en soit, quant aux mots empruntés au grec, qui ne constituent qu'une part de la question de la langue d'origine, on sait qu'aucune conclusion ne peut être espérée avant d'avoir un instrument de travail adéquat, c'est-à-dire un véritable dictionnaire des mots grecs dans le copte. [1] Mais justement à cause de cela, il aurait valu la peine de réserver un traitement plus explicite aux mots grecs de ce texte. De ce point de vue, la nouvelle édition ne me paraît pas apporter de progrès par rapport à celle d'Amélineau. Ce dernier n'est certes guère connu pour avoir été un éditeur rigoureux et la longue liste de corrections apportées ici à son édition (Appendice 1) ne surprendra pas. Outre les nombreuses erreurs qu'il laisse subsister çà et là, il a une manière assez déconcertante, s'agissant des mots empruntés au grec, de corriger la graphie du manuscrit (qu'il indique en note, parfois aussi de manière erronée) par celle qu'il juge correcte, soit du point de vue du grec, soit de celui du copte, sans véritable logique ni cohérence. Ici les éditeurs ont choisi de ne pas corriger le texte du tout, ce qui semble sage. Mais le malheureux lecteur est livré à lui-même pour l'interprétation de certains mots quasiment méconnaissables, notamment dans le redoutable prologue (tout le § 1 du texte) qui est farci de mots grecs plutôt rares. Pour ne prendre qu'un exemple, j'avoue que la lecture du mot epèisimôn (139) en episèmôn ne m'a pas été immédiatement claire et je gage que, de même, les éditeurs ont dû être contents qu'Amélineau leur ait, parfois, donné la solution de l'énigme. Bref, il aurait été bien utile d'avoir un glossaire de ces mots grecs.

De façon générale, l'édition/traduction du texte comporte des notes instructives, qui mettent en perspective et en relation les différents textes impliqués dans la compilation. En revanche l'annotation me semble insuffisante et disparate du point de vue grammatical. On comprend bien que ce volume n'a pas pour objet premier la philologie, mais une édition comme celle-ci risque de donner l'idée que cette variété de copte bohaïrique est bien connue et ne nécessite pas de commentaires particuliers. Or c'est tout le contraire: bien des traits syntaxiques de cette langue sont encore mal décrits, et une meilleure connaissance de ces traits contribuerait certainement à donner du relief à un commentaire littéraire. Par exemple, dans le bref § 18, parallèle à l'apophtegme sur Jean Kolobos 37, la syntaxe de la phrase nominale est remarquable et son analyse permettrait de creuser la question du rapport au grec d'une part, de la création rhétorique d'autre part.

La traduction est parfois imprécise. Là encore, un seul exemple (p. 69) : il est dit qu'Abba Jean le Petit "was from a village in the region of Pemje, the famous city of Upper Egypt whose name is Tsē". Faut-il comprendre que Pemje et Tsē sont une seule et même ville? Ce n'est pas ce que dit le texte et on soupçonne une erreur dans l'interprétation des possessifs. La traduction d'Amélineau est plus exacte: "originaire d'un village du nome de Pemdjé, ville célèbre du sud de l'Égypte, lequel (= le village) se nommait Tesi".

Mais ce sont là des critiques de détail qu'il est inutile de poursuivre. Mieux vaut terminer en reconnaissant à ce livre les qualités qui correspondent à ses objectifs : fournir à un public anglophone et non nécessairement linguiste un aperçu complet du dossier de Jean le Petit, dans sa complexité textuelle et sa richesse littéraire et spirituelle.

--------

Notes:

1. C'est pourquoi on attend beaucoup du projet DDGLC dirigé par Sebastian Richter à Leipzig, qui a en vue une base données et un dictionnaire de ces mots pour l'ensemble des textes coptes.