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08.06.24, Van Winter, ed., Spices and Comfits:

08.06.24, Van Winter, ed., Spices and Comfits:


Professeure à l'Université d'Utrecht jusqu'en 1989, Johanna Maria van Winter fut, dès les années 1970, une des premières à explorer un domaine jusque-là peu traité par l'histoire sérieuse: celui de l'alimentation. Spécialiste de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance, elle a en près de quarante ans publié un peu moins de cinquante articles et ouvrages (recensés en fin de volume, p. 399-405) sur un thème aujourd'hui considéré comme parfaitement légitime aux côtés des champs les plus traditionnels de la médiévistique. Il faut cependant insister sur le fait que l'étude de ces thématiques n'allait pas de soi quand Johanna Maria van Winter a commencé ses travaux dans ce domaine: il a donc fallu courage et passion pour imposer l'histoire de l'alimentation en tant que discipline scientifique, et non comme répertoire sympathique mais anodin des murs et usages du temps des chevaliers et des châteaux forts.

Pour toutes ces raisons, il faut saluer la publication de ce volume qui réunit vingt-huit articles publiés entre 1971 et 2006. Il est important de voir enfin réunies en un volume des textes à l'origine dispersés dans de très nombreuses publications: il s'agit en effet pour la plupart de contributions à des colloques dont les actes sont parfois difficiles à se procurer, ou à des volumes collectifs parfois assez confidentiel. Les textes ont été refondus avec une seule et mme typographies, et les notes rejetées à la fin de chaque chapitre: un choix a priori peu judicieux, mais qui s'avère finalement assez pratique en raison de la relative brièveté de la plupart des articles. Les langues utilisées dans l'ouvrage sont l'anglais pour la grande majorité des chapitres, l'allemand pour cinq d'entre eux (n. 2, 7, 8, 10, 25), et le français pour un (n. 13). Surtout, six articles (n. 1, 6, 14, 15, 19, 23) ont été traduits en anglais d'originaux néerlandais: pour le plus grand nombre d'entre nous, voilà encore une excellente nouvelle! On regrettera toutefois que les articles en allemand ne soient pas systématiquement munis d'un résumé en anglais: certains le sont (n. 10, 25), sans doute depuis la publication originale, mais d'autres découragent trop vite le lecteur peu ou pas germanophone... La réédition aurait pu tre l'occasion de tels résumés. L'article en français, en revanche, est suivi d'un article en anglais sur le mme thème, qui le remplacera avantageusement. Par ailleurs, la bibliographie a été complétée pour un certain nombre de textes, une des contributions (n. 21) a été remise à jour, et on compte mme un article inédit (n. 28), dont la publication dans les actes d'un colloque est prévue en 2008.

Il faut aussi insister sur la forte hétérogénéité du volume. La longueur, la qualité, le ton, le public visé par ces articles sont extrêmement divers. Certains d'entre eux (n. 1, 3, 5, 16, 17, 19) sont très généraux et/ou très courts (il peut s'agir, par exemple, d'articles d'encyclopédies ou de dictionnaires), et n'apportent que très peu d'éléments neufs: sans doute utiles au moment de leur parution (ce sont en effet pour la plupart des articles anciens), ils ont été depuis dépassés par de nombreuses publications. Pour certains (n. 5, par exemple, sur les influences arabes dans la cuisine occidentale), la bibliographie n'a pas été mise à jour, le texte reste largement fondé sur des travaux anciens, et l'article est donc de peu d'intérêt scientifique. Le lecteur prendra cependant plaisir à (re)lire certains de ces travaux qui ont pu faire date. Le volume compte aussi quelques notes de recherche très courtes et très techniques (n. 4, 12, 22, 24) dont l'intérêt est exactement inverse: ici, c'est surtout le spécialiste qui y trouvera des renseignements; ces articles sont souvent valables surtout par leurs notes abondantes et précises. Enfin, le volume présente un certain nombre de doublons, d'articles présents en deux exemplaires dans deux langues différentes, ou reprenant dans une même langue des parties substantielles l'un de l'autre: ainsi, en dehors de l'abandon d'une discussion sur des livres de cuisine néerlandais et de l'ajout d'un paragraphe sur la Renaissance, le n. 3 (Medieval Food Culture, paru en 2003) est en tous points semblables au n. 1 (Food in the Middle Ages, paru en 1971); de même, le manuscrit présenté dans l'article n. 13 est à nouveau étudié de manière plus détaillée dans le n. 14, ce qui rend inutile la réédition du premier.

L'ouvrage s'organise en quatre grands thèmes: Medieval Food Habits (articles n. 1 à 5); The Netherlands and their Neighbours (articles n. 6 à 15); Fasting and Feasting (articles n. 16 à 21); Food and Health (articles n. 22 à 28). Le premier est sans doute le moins bien loti des quatre: les articles proposés sont en général soit anciens, soit très généraux. Le lecteur déjà familier de ces questions s'arrêtera surtout sur une courte note de recherche sur le blanc-manger et ses transformations d'un pays à l'autre à la fin du Moyen Âge, avec la reprise en note de plusieurs recettes en langue originale.

Le second thème abordé est peut-être celui qui présente le plus d'intérêt: Johanna Maria van Winter est ici dans son domaine, celui des Pays-Bas (au sens large, en particulier la Hollande et la Gueldre) et du monde hanséatique. Ces dix articles représentent une publication qui comble en elle-même une lacune importante, puisque aucune synthèse n'existe réellement en anglais sur cette question. Les données sont bien sr présentes ici en ordre dispersé, mais le tableau qui se dégage est très vivant et très parlant: c'est celui d'un espace ouvert à de nombreuses influences extérieures, un point qui se vérifie en particulier à travers les recettes copiées et pratiquées (articles n. 6, 7, 9, 13, 14). Quant aux produits transformés, échangés et consommés dans cet espace, ils sont étudiés plus particulièrement dans plusieurs chapitres: il s'agit surtout des produits de conserve, au premier rang desquels figure le hareng (n. 11), mais aussi des produits laitiers, qui aujourd'hui encore représentent une exportation majeure des Pays- Bas (n. 12). Les sources utilisées sont avant tout les livres de cuisine, mais on trouve aussi une étude serrée d'un registre du XVe siècle de la maison des douanes de Lobith en Gueldre (n. 10).

Avec le troisième thème, on revient à des considérations plus générales, où le spécialiste de l'alimentation médiévale apprendra finalement peu de choses: tant sur les règles du jeûne que sur le fonctionnement et la signification du festin, la bibliographie est assez ancienne et les références anthropologiques ou sociologiques très légères. Ainsi un texte sur le festin comme moyen de communication (n. 21) cite comme seule référence extérieure les travaux de Norbert Elias. Mais on trouve tout de même au menu un article particulièrement bien documenté sur les recettes de poisson à travers l'Europe du Nord, sujet traité de manière comparative et qui ouvre sur des perspectives intéressantes sur l'usage des épices: l'auteur remarque en effet que celles-ci étaient utilisées y compris pour préparer des parties très peu valorisées du poisson, aujourd'hui considérées comme déchets.

Le dernier thème nous ramène à des études plus ponctuelles et plus précises sur les rapports entre alimentation et santé. La question du statut (médical ou culinaire) de plusieurs manuscrits néerlandais est envisagée dans un article très technique (n. 23), tandis que les recettes spécifiquement destinées aux malades sont étudiées dans l'article suivant (n. 24). Plusieurs produits sont envisagés de manière plus précise: le cannabis (n. 22), les solanacées (n. 25), les salades vertes (n. 26) et le sucre (n. 27). Le travail mené sur la pomme de terre et sur ses rapports avec les autres solanacées, indigènes celles-ci, et généralement vénéneuses (il s'agit en effet de la morelle noire, de la morelle douce-amère, de la belladone, de la jusquiame noire et de la mandragore), tend à expliquer la méfiance des Européens devant cette plante pourtant importée dès la Renaissance.

Ce livre, malgré quelques incohérences formelles et malgré quelques articles d'un intérêt plus limité, représente donc une publication fort utile et une lecture souvent très agréable.