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08.05.14, Lehmann, La repression des delits sexuels

08.05.14, Lehmann, La repression des delits sexuels


Fondée sur un corpus de près de 2100 mentions d'amendes (banna), cette recherche s'intéresse à la délinquance sexuelle dans les châtellenies des Etats savoyards à la fin du Moyen Age. Dès le début, prudente, l'auteur signale la limite de ses pérégrinations: l'image obtenue est celle de la répression de la part du châtelain plutôt que de la délinquance elle-même. Les délits impunis restent ainsi méconnus.

L'ouvrage s'ouvre sur une description des procédures judiciaires et administratives des Etats savoyards des 13ème au 15ème siècle: il faut ainsi distinguer les banna condemnata (fruits d'une condamnation judiciaire pure et simple au vu d'un délit) des banna concordata (consécutifs d'une tractation entre les deux parties). Généralement laconiques, ces banna se résument souvent à l'identité du payeur (pas forcément le coupable: la famille peut ainsi régler l'amende); toute précision supplémentaire témoigne alors d'une circonstance aggravante, à l'origine d'une augmentation de l'amende (viol dans un hôpital, délit survenu la nuit, effusion de sang, etc.). Le montant des amendes varie d'ailleurs en fonction des besoins du châtelain, impliquant par là que les délits des petites gens sont, pour lui, une source non négligeable de revenus.

Plus loin, si l'auteur décrit assez finement le cadre géographique et chronologique de son étude, elle explique en revanche relativement peu les raisons de son choix.

Dans une section consacrée aux problèmes de méthode, Prisca Lehmann donne un glossaire des termes utilisés en latin commun (abortire, adulterium, bordellum, carnaliter cognoscere, coitus, concubina, concubinatus, conjugare, copula, corrompere, creantare, cubare, deflorare, denudare, desponsare, disvestire, estouteria, exfortiare, falconcare, fornicare, fornicatio, fortiare, impregnare, incestus, ingravidare, inhonestus, jacere, jurare, lenocinium, luctare, mantare, matrimonium, maritare, meretrix, nubere, osculare, pariare, prostibulum, procreare, raptus, rem habere, scozaria, societatem habere, sodomia, stuprum, subornare, supponere, uxorari, violare). Plus qu'une simple énumération, elle se livre en réalité à une véritable étude philologique sur les variations linguistiques et les types d'emploi des différents termes dont la grande quantité témoigne de la multitude des délits. Sont particulièrement analysés l'inceste ("acte charnel commis avec un consanguin, un affin ou avec un parent spirituel"), la violence associée à la sexualité, l'adultère ("acte par lequel un époux, trahissant la fidélité jurée au mariage, livre son corps à une personne autre que son conjoint"). Il apparaît ainsi que l'adultère peut aussi être employé dans le sens d'une "fornication accomplie par des célibataires ou des veuves en dehors du mariage." L'auteur prend appui sur des textes législatifs contemporains (statuts de Rivoli, statuts de Susa, de Chieri ou de Revigliasco Torinese, pour ne citer que quelques exemples).

Elle se lance ensuite dans une description de "morceaux choisis" o, cas après cas, l'auteur s'intéresse aux délits répétés (multiples adultères, par exemple), à la violence surajoutée, au viol, ou au décès de la victime (dans ce dernier cas, puisqu'un bannum a été réalisé, c'est que ce geste a été considéré comme un homicide involontaire), au rapt, au lieu du délit, abus de la part ou sur des déficients mentaux, etc. dont la triste modernité est frappante.

L'édition critique des amendes intéresse près de la moitié de cet ouvrage, classées par type de délit, par lieu d'établissement du bannum et par date; on peut seulement regretter l'absence de traduction en regard de chacun de ceux-ci, ce qui aurait aidé à la lisibilité du texte et aux recherches ultérieures.

Les documents annexes sont rares mais utiles: carte récapitulant les principaux lieux cités dans l'ouvrage, statistiques (nombre d'amendes par lieux et par dates dont la représentativité n'est que relative lorsqu'on pense aux limites exposées plus haut), reproduction de 6 banna et 2 miniatures figurant des peines pour viol et adultère. Suivent une liste des sources, une bibliographie complète, un index des noms (dommage que les noms propres et les noms de lieux n'aient pas été séparés) et des matières.

Ce que l'archéologie et les squelettes ne disent pas (les maux de l'âme, les traumatismes sexuels, les désordres mentaux), l'analyse des textes permet de le reconstituer de façon plus ou moins fine. Cet ouvrage, d'un sérieux irréprochable, apporte un témoignage unique sur la répression des délits sexuels et sur leur classification.

Après s'être intéressée, dans le même contexte chrono-culturel, aux registres de décès, cette jeune historienne, assistante d'Agostino Paravicini Bagliani livre ici une monographie remarquable dont on recommande la lecture autant aux chercheurs dont c'est le sujet qu'aux étudiants qui apprendront comment mener une bonne recherche et en livrer les fruits.