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08.04.01, Terry and Maguire, Dynamic Splendor

08.04.01, Terry and Maguire, Dynamic Splendor


Le livre publié par A. Terry et H. Maguire non seulement nous permet enfin de connaître de manière précise les mosaïques d'un monument majeur du VIe siècle qui n'avait jamais été étudié systématiquement, mais encore, il est exemplaire par la méthodologie suivie et par la manière dont elle est exposée. Pour ne pas avoir à y revenir, signalons tout de suite l'excellente qualité des illustrations qui constituent le volume 2--toutes celles qui concernent les mosaïques étudiées sont en couleur--et les nombreuses vues de détail qui permettent de suivre les analyses très précises des auteurs sur l'histoire des mosaïques.

Il est clair en effet qu'une des fins visée par cette publication était de distinguer les parties conservées des mosaïques de ce qui avait été restauré. Ceci a été rendu possible par trois campagnes d'observations faites à partir d'un échafaudage. Il faut être reconnaissant aux autorités qui les ont permises, car elles placent ces mosaïques parmi les mieux connues, sinon les mieux connues de l'époque paléochrétienne. Le plan du livre reflète cette volonté de donner la priorité donnée à ces observations techniques, priorité nécessaire pour valider d'autres conclusions. En effet, après une brève introduction qui présente rapidement le monument, un premier chapitre, p. 11-28, fait connaître la documentation antérieure aux restaurations de la fin du XIXe siècle, particulièrement importantes, sinon problématiques. Les auteurs reviennent d'ailleurs sur cet aspect dans leur conclusion et le livre se termine par un long appendice qui fait en détail la distinction des parties anciennes et des parties restaurées. La démarche était nécessaire, même si elle n'aboutit pas toujours à des certitudes : même la documentation laissée par les restaurateurs sur l'état des mosaïques antérieures à leurs travaux n'est pas apparue comme fiable, mais on verra que, malgré ces réserves, des conclusions sûres et importantes ont été gagnées.

Le chapitre 2 "Philosophy and Methods of the Restorers" (29-58) place la question des restaurations à Porec dans le débat général sur les restaurations du XIXe siècle--en particulier celles qui tournaient autour des travaux à Saint-Marc de Venise--où, malgré les tentatives de Ruskin en faveur de restaurations clairement identifiées, la tendance générale était plutôt le souhait d'obtenir un ensemble homogène où le nouveau se confondrait avec l'ancien. Ce n'est qu'une observation attentive, à partir des échafaudages, qui a permis aux auteurs de distinguer quatre phases de pose des mosaïques, la mise en place du VIe siècle, une restauration du XVIIIe siècle, deux phases du XIXe siècle, la plus importante étant la plus récente. Il est inutile de faire ici un résumé des conclusions auxquels on aboutit. La plus importante peut-être est la confirmation de restaurations importantes dans les mosaïques de l'arc triomphal, redécouvertes seulement en 1890. En particulier, l'aspect juvénile du Christ et le globe sur lequel il trône ont été refaits en s'inspirant des mosaïques de Saint-Vital de Ravenne sans aucun indice matériel qui justifie cette imitation. Des problèmes de même ordre sont à signaler pour les absides latérales. Le chapitre suivant, p. 59-69, compare le monument de Porec à ceux de Ravenne. La conclusion qui en est tirée confirme la datation généralement admise, à savoir le milieu du VIe siècle, tant les rapprochements avec les mosaïques justiniennes de Ravenne, s'imposent, en particulier avec Saint-Vital (également proche par la sculpture architecturale).

Le chapitre 4, "Mosaic artistry in sixth century Porec" (71-98) part d'une vue d'ensemble sur la composition, puis sur les questions de mise en place (dessins préparatoires, mise en place des tesselles) pour aboutir à des considérations plus précises sur le style proprement dit. On sait que H. Maguire est un des historiens de l'art byzantin qui a poussé à réagir contre un relatif manque d'intérêt prêté au style par rapport à l'iconographie dans les études sur l'art byzantin. Des observations, toujours très précises, permettent aux auteurs de mettre en évidence la manière de travailler des mosaïstes. Pour en donner un exemple, une asymétrie dans la composition de l'abside--la Vierge légèrement décalée vers la droite; les personnages à gauche dans une disposition plus aérée que ceux à droite de l'abside--a pu être mise en relation à la fois avec un problème architectural: l'arc triomphal n'est pas perpendiculaire à l'axe de l'abside et restreint l'espace disponible à droite (j'utilise ici gauche et droite comme les auteurs, à savoir du point de vue du spectateur); de plus, très vraisemblablement, la mise en place des mosaïques a commencé sur la gauche et le mosaïste a mal estimé l'espace disponible. Une autre constatation inattendue est le fait que, visiblement, la nature des matériaux employés montre des difficultés d'approvisionnement en tesselles les plus chères--celles faites en verre--au fur et à mesure de l'avancée des travaux (abside centrale, puis absidiole nord, enfin absidiole sud). En général, l'ensemble de ce chapitre montre la précision et la qualité des observations faites par les auteurs de ce livre; je noterai en particulier les remarques sur la division du travail, sur les surfaces où les tesselles étaient posées en une seule phase, sur le travail qui part du centre d'une telle surface vers l'extérieur. La précision de ces observations sur les matériaux permettent d'aboutir à d'autres remarques techniques qui, cette fois, permettent de comprendre comment les mosaïstes arrivent à produire le résultat visuel final, choix des nuances pour le modelé, choix de matériaux pour obtenir un modelé de l'or.

On notera aussi la recherche d'effets donné par des tesselles qui sont plus ou moins saillantes. Des remarques qui me paraissent particulièrement importantes à ce point de vue sont celles, p. 93-95, qui concernent la manière dont les visages sont construits. Des remarques de ce genre mériteraient d'être faites à propos de l'ensemble des mosaïques du VIe siècle. Cela permettrait, peut-être, de déceler des habitudes, des tendances, en tout cas de mieux comprendre la manière dont travaillaient les mosaïstes. Mais, pour que ce regard "archéologique" sur les mosaïques puisse être vraiment efficace du point de vue de la connaissance, il faudrait le pousser jusqu'au bout. Cela supposerait que l'analyse soit faite systématiquement pour tous les visages d'un même monument, car la comparaison entre monuments n'a véritablement de sens que si on peut la confronter à la variation des parties homogènes, c'est-à-dire contemporaines entre elles, à l'intérieur d'un même monument. Sans même parler des problèmes posés qui seraient posés par une publication répondant à un tel programme, sa mise en oeuvre, que ce soit par le temps ou le nombre de collaborateurs nécessaires, demanderait des conditions tellement favorables qu'elles ne peuvent qu'être exceptionnellement réunies. Dans les conditions du travail à Porec, avec une équipe visiblement pas très nombreuse, et dans une église "en fonction," les résultats obtenus par les auteurs de ce livre sont tout à fait remarquables.

Les deux chapitres suivants, reprenant la terminologie introduite par E. Panofsky, s'occupent, le premier de l'iconographie, le second de l'iconologie. Même si la distinction entre ces deux niveaux n'est pas toujours aussi évidente que ne l'a pensé Panofsky, elle se justifie ici, dans la mesure où les restaurations anciennes ont empêché une identification sûre de personnages ou d'attributs. Le chapitre consacré à l'iconographie porte donc essentiellement sur les zones dont la documentation antérieure aux restaurations fait penser que celles-ci pourraient être problématiques et celles où l'état des mosaïques a induit des interprétations erronées des commentateurs modernes. Mais cette approche a plutôt permis de confirmer l'authenticité de détails dont leur caractère unique ou rare avait parfois mis en doute celle-ci. C'est le cas, par exemple, du voile transparent que porte la Vierge dans l'Annonciation, scène qui a pourtant été largement restaurée. C'est le cas aussi de l'écharpe portée par la Vierge, mais aussi par Elisabeth dans la scène de la Visitation ainsi que par la Vierge trônant dans l'abside. Les auteurs trouvent des parallèles convaincants qui montrent que, malgré la croix qui en orne l'extrémité inférieure, il s'agit bien d'une écharpe et non d'une allusion à un omophorion, qui aurait lui-même fait allusion à l'ascendance sacerdotale du Christ (mais ne sommes-nous pas déjà dans l'iconologie à ce moment ?). Dans le même ordre d'idées, le petit objet, visible sur la tête de Zacharias est reconnu comme authentique et peut ainsi être identifié à un teffilin, que les Juifs fixent sur leur front pendant la prière. Plus généralement, tous les accessoires portés par Zacharias sont authentiques (les auteurs identifient, à juste titre, les figures sur l'encensoir qu'il porte comme illustrant l'épisode de Suzanne). Il serait trop long d'entrer ici dans tous les détails auxquels l'observation minutieuse des mosaïques permet de rendre justice, y compris l'identification des deux saints représentés dans la chapelle nord (saints Cosme et Damien) et la confirmation que c'est bien le Christ qui les couronne.

C'est armé des certitudes ainsi gagnées que les auteurs, dans leur dernier chapitre, abordent la question de la signification de ces mosaïques, en partant précisément des détails qui paraissent difficiles. Deux détails sont notés qui font référence à la Trinité: c'est sûr pour le globe tenu par l'ange au centre de l'abside; possible, mais peut-être moins évident, pour la signification des Trois Hébreux représentés sur l'encensoir tenu par Zacharias. Faut-il y voir nécessairement une allusion aux disputes liées à l'affaire des "Trois Chapitres"? Cette supposition est peut-être renforcée par quelques autres détails: la représentation de Suzanne pourrait s'interpréter comme une allusion à ceux qui sont faussement accusés (il faut se souvenir que des évêques de l'Istrie avaient refusé la condamnation des Trois Chapitres et que, peut-être, d'après une lettre de Pélage Ier citée par les auteurs, Eufrasius était impliqué dans cette affaire); de même la place d'honneur donnée à sainte Euphémie, presque au sommet de l'arc triomphal, est interprétée comme un rappel de l'importance du concile de Chalcédoine. Ces conclusions sont tout à fait possibles, ne serait-ce que parce qu'elles s'additionnent l'une à l'autre. Cela me semble montrer une implication tout à fait particulière du commanditaire, non seulement dans la mesure où ces détails sont dus à son intervention personnelle, mais aussi parce qu'ils sont trop discrets pour être interprétés comme une manifestation publique de sa position et qu'ils n'étaient perceptibles que pour lui-même ou quelques proches. De manière plus évidente, il est montré que l'accent mis sur le voile et la ceinture de la Vierge correspondent à des textes qui rappellent que ces reliques sont des témoins de l'Incarnation, dont saint Jean Baptiste et Zacharias sont aussi les témoins.

Je m'éloigne un peu de l'interprétation des auteurs à propos des pages qu'ils consacrent au Christ trônant entouré des apôtres sur le front de l'arc triomphal. Dans la mesure où le Christ est presque entièrement restauré, les nombreux parallèles invoqués leur donnent certainement raison de penser que, à l'origine, c'était un Christ barbu qui était représenté à cet endroit. Y reconnaître, comme sur une série d'exemples qu'ils citent, une opposition entre deux zones, une zone céleste, avec un Christ dans sa gloire divine, et une zone qui montre son incarnation, me paraît devoir être nuancée, dans la mesure où la scène qui occupe la conque de l'abside où donateurs et saints se retrouvent de part et d'autre de la Vierge tenant l'Enfant me semble aller au-delà de la simple mise en scène de l'Incarnation. Mais, évidemment, cette opposition fait sens si on met en rapport le Christ trônant avec les deux scènes de l'Annonciation et de la Visitation représentées sous la conque. De même le parallèle visuel entre le Christ en Ancien des Jours et la Vierge à l'Enfant ne me paraît pas opposer simplement nature humaine et nature divine. En regardant par exemple le fameux ivoire de Berlin, l'Enfant non seulement fait le même geste que l'Ancien des Jours, mais son attitude, jusqu'au drapé des vêtements, est exactement la même. Je mettrais donc plutôt en avant la question du polymorphisme de la représentation du Christ; et, sur un ivoire, comme celui de la Bibliothèque Nationale de France où l'on retrouve la même opposition, le contraste nature humaine vs nature divine me semble plutôt marqué par l'opposition des deux panneaux centraux aux scènes qui les entourent.

Il faut aussi attirer l'attention sur la fine interprétation faite de la présence, dans la grande mosaïque de l'abside, d'un enfant, tenant deux chandelles--cette identification est clairement établie dans le chapitre sur l'iconographie. Le parallèle le plus intéressant, parmi ceux qui sont cités, me paraît être la référence à la peinture représentant Turtura dans la catacombe de Commodilla. Cela permettrait de penser que l'enfant représenté était récemment décédé. Comme le suggèrent les auteurs, cela justifierait sans doute davantage une représentation aussi privée à cet emplacement que si le but était de montrer le voeu d'un enfant encore vivant. La demande de l'enfant porterait sur l'accueil favorable dans l'au-delà et s'adresserait non seulement à la Vierge et au Christ, mais aussi aux saints anonymes figurés de l'autre côté de la mosaïque. Les auteurs signalent les exemples bien connus d'images de saints anonymes qui sont objet de prières, par exemple dans les mosaïques disparues de la nef nord de Saint-Démétrius de Thessalonique. Ce qui semble en tout cas être, en forçant un peu les termes, une "intrusion du privé" dans une mosaïque qui se trouve à un emplacement guère prévu pour cela me paraît devoir retenir l'attention.

Ce livre était attendu après les rapports préliminaires publiés par les auteurs; il est exemplaire par sa méthode, la prudence et la justesse des conclusions. Il faut espérer que d'autres mosaïques paléochrétiennes célèbres puissent être examinées et publiées avec la même qualité.