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08.01.20, van Rhijn, Shepherd of the Lord

08.01.20, van Rhijn, Shepherd of the Lord


C. van Rhijn propose ici une réflexion sur une catégorie peu étudiée et pourtant fondamentale pour la société chrétienne du Moyen Age, celle les prêtres ruraux de lépoque carolingienne, en se fondant essentiellement sur les capitulaires épiscopaux qui sont propres à cette période.

La première partie de l'ouvrage est dédiée aux textes eux-mêmes, édités par les MGH entre 1984 et 2005, qui se répartissent en deux grandes vagues de rédaction: un premier ensemble dans les années 800-820, puis un second dans les années 850-875, le tout étant très largement issu de la partie occidentale de l'empire franc. Il semble que l'origine de cette nouvelle forme de documentation soit à rechercher dans l'Admonitio generalis de 789: à partir des grandes lignes générales visant à réformer tout ce qui peut déplaire à Dieu dans le royaume des Francs, chaque évêque a procédé à une véritable traduction de ces grands principes en pratique. Ainsi les capitulaires épiscopaux sont-ils le véhicule approprié pour transmettre les résolutions prises au niveau de la cour aux prêtres des diocèses. Les évêques ont donc imaginé ces textes d'abord comme des outils de communication, mais aussi comme des moyens supplémentaires de contrôle de ce qui se passe dans leur diocèse, innovation qui a connu un grand succès si on observe la rapidité avec laquelle les manuscrits ont été copiés et diffusés dans le royaume, le premier capitulaire de Théodulphe, qui est aussi le plus ancien de tous, constituant même un véritable best-seller dont il reste aujourd'hui encore 49 manuscrits. Mais il semble que ces textes aient rempli aussi une troisième fonction: ils visent à délimiter le groupe des prêtres comme une nouvelle catégorie, en établissant une hiérarchie claire, fondée sur les Ecritures et sur les canons, en les distinguant non seulement des moines mais aussi de la large masse des clerici, projet dans lequel on reconnaît aisément un aspect de la vaste entreprise de hiérarchisation promue par les Carolingiens.

Il s'agit donc, dans la seconde partie, de définir la conception et la perception de la charge de prêtre telles qu'elles apparaissent dans ces textes du IXe siècle: l'émergence des capitulaires épiscopaux, spécifiquement destinées aux prêtres, fait de ces derniers un segment fondamental de la hiérarchie ecclésiastique et les propose comme modèle à l'ensemble de la société laque. La plus grande nouveauté consiste à penser le rôle du prêtre comme une fonction permanente dont le détenteur porte l'entière responsabilité, non seulement pour lui-même, mais aussi pour les autres: si un enfant meurt sans baptême, le prêtre devra rendre des comptes à Dieu pour cette âme perdue, car il n'est pas seulement responsable de son propre Salut, mais aussi du Salut de ses ouailles, ce qui ne semble pas avoir été énoncé ainsi auparavant. On assiste alors à une promotion de la fonction presbytérale qui se rapproche de la fonction épiscopale: même si les prêtres doivent rester soumis aux évêques, la différence n'est pas si grande et, comme le souligne Théodulphe, "les deux grades sont conjoints." Tout comme l'épiscopat--mais aussi la royauté, la charge comtale, et bien d'autres charges "publiques"--la fonction presbytérale devient à l'époque carolingienne un ministerium. D'où la nécessité de définir aussi ce qu'est un prêtre idéal, essentiellement défini par sa connaissance du dogme et des rituels et par sa bonne conduite.

Les deux parties suivantes sont consacrées à l'étude de cet idéal: dans les années 800-820, l'accent est mis sur l'administration des sacrements et sur l'instruction des laques, la conduite du prêtre en elle-même, en dehors des aspects liturgiques et pastoraux, faisant l'objet d'une moindre attention. L'idéal de la prêtrise est fondé sur la connaissance et l'activité pastorale permanente, avec un intérêt très marqué pour le rituel du baptême qui préoccupe l'entourage de Charlemagne dans les années 812-813. En effet, le baptême ne sanctionne pas seulement l'adhésion à une doctrine, il est un acte politique au sens large dans la mesure où tous les baptisés s'engagent à se comporter comme de bons chrétiens et donc à respecter les règles et les admonestations faites aussi par le roi. La chrétienté est le seul lien qui unit les peuples de l'empire, c'est pourquoi le baptême est "la pierre angulaire" de la société carolingienne. Dans ce contexte le prêtre doit, d'une part exécuter correctement le rituel du baptême pour qu'il soit valide, d'autre part s'assurer de l'éducation du candidat et juger de sa capacité à s'agréger aux autres chrétiens. C'est pourquoi les prêtres jouent un rôle fondamental dans la création de l'empire franc et c'est aussi pourquoi ils sont l'objet d'une attention si grande dans les cercles réformateurs de la cour carolingienne. En revanche, l'auteur insiste, à juste titre, sur le fait que les capitulaires épiscopaux n'étaient pas des vade mecum où les prêtres pouvaient trouver des réponses à leurs questions pratiques, c'étaient des textes destinés à donner un sens à d'autres textes, qu'on peut parfois trouver copiés dans les mêmes manuscrits.

Dans les années 850-875, si l'idéal du prêtre ne change pas beaucoup, le contexte dans lequel il est énoncé se transforme énormément: de nouveaux problèmes apparaissent, notamment la question de l'autorité de l'évêque sur toutes les églises, leur personnel et leurs propriétés (qui n'est pas une question neuve mais dont l'acuité devient alors beaucoup plus grande). Les difficultés propres au royaume occidental, où sont rédigés tous les capitulaires de cette époque, conduisent les évêques à chercher à consolider leurs positions non seulement en tant que groupe, mais aussi en tant qu'individus, notamment contre les grands laques, mais aussi contre d'autres évêques, et même à l'intérieur de leur diocèse. Les capitulaires de cette période n'ont plus de liens directs avec les canons des conciles ou les capitulaires royaux contemporains, en revanche plusieurs d'entre eux, notamment ceux d'Hérard de Tours et d'Isaac de Langres, forment une sorte de compilation des autorités tirées de la collection d'Anségise ou de Benedictus Levita, à l'usage des prêtres.

La dernière partie de l'ouvrage cherche à faire entendre la voix des prêtres eux-mêmes, ce qui impose à l'auteur de changer en partie de documentation, car si les prêtres ruraux n'ont pas laissé de textes, on peut les connaître avant tout par l'étude des chartes et par quelques lettres adressées aux évêques ou au souverain (mais on aurait pu exploiter aussi les sources hagiographiques). Après avoir noté que les prêtres sont issus de familles très diverses socialement, l'auteur montre que la plupart d'entre eux ont été éduqués à l'école cathédrale et non pas au monastère et qu'ils sont en général nommés par l'évêque dans leur région d'origine, même si la mobilité géographique n'est pas interdite. Le prêtre avait forcément une influence importante sur la communauté laque qui lui était confiée, mais elle était d'autant plus grande qu'il était apparenté à une famille puissante et riche.

Contrairement à ce qu'on croit souvent, la plupart des prêtres n'étaient pas pauvres: les cas connus qui sont souvent définis comme des cas "d'oppression" ne sont pas une affaire de pauvreté mais une affaire de détournement du prêtre de sa charge principale. Ou alors c'est une pauvreté "conjoncturelle" (par exemple aliénation des biens de l'église, destruction, etc...), mais les sources ne permettent guère de tracer le portrait de nombreux prêtres structurellement pauvres. On connaît en revanche de nombreux prêtres bien lotis en matière de propriété "privée" qu'ils peuvent vendre, échanger, etc... y compris des églises "privées". Certains prêtres ont su profiter de leur position en se faisant payer certains services (non-liturgiques), en vendant de la nourriture ou en prêtant de l'argent à intérêt, toutes choses évidemment défendues.

En se fondant notamment sur les textes d'Hincmar de Reims, l'auteur s'attache enfin au problème de la réputation du prêtre qui peut être facilement dénoncé par sa propre communauté, notamment en matière de conduite sexuelle; mais l'inverse aussi est vrai: la communauté peut défendre son prêtre par serment si elle estime qu'il est injustement attaqué, et l'évêque n'a pas plus de moyens de se déposer un prêtre soutenu par ses ouailles et par ses collègues qu'il ne peut imposer un prêtre "étranger" à des fidèles qui n'en veulent pas. On sait aussi qu'existaient des réseaux locaux de prêtres qui pouvaient s'entraider, y compris contre leur propre évêque. L'ensemble montre plutôt des prêtres relativement riches et puissants au sein des communautés rurales: c'était un groupe privilégié qui formait une véritable élite.

Au terme de ce parcours, on saura gré à van Rhjin d'avoir ouvert la voie à une réflexion sur le clergé rural et sur la fonction presbytérale qui est promise à un bel avenir à l'époque féodale. On peut cependant souligner quelques problèmes non-résolus et sur lesquels il faudrait développer de nouvelles études: même en prenant l'empire carolingien du début du IXe siècle comme un "tout", on a globalement des capitulaires épiscopaux qui sont massivement conçus et rédigés à l'ouest: peut-être aurait-il fallu faire une place à la diffusion géographique de ces textes dans l'empire franc, même si l'étude des manuscrits est un autre sujet, pour mesurer notamment leur portée à l'est (au moins en ce qui concerne le premier groupe de capitulaires). En revanche, tout ce qu'on peut savoir de la vie "réelle" des prêtres par les chartes émanent massivement du royaume oriental, notamment de Fulda, Saint-Gall et Freising: on notera d'ailleurs que les seuls "capitulaires épiscopaux" émanant du royaume oriental sont originaires de Bavière. Doit-on considérer que l'absence de capitulaires épiscopaux à l'est ne s'explique que par une plus grande importance accordée à l'écrit à l'ouest du monde carolingien comme le soutient J.L. Nelson? [1] En tout état de cause, il faudrait réaliser une étude sur les prêtres tels qu'ils apparaissent dans les cartulaires de manière exhaustive, mais cette étude ne nous renseignerait guère que sur la situation du royaume oriental. La différence d'origine géographique de ces deux types de documentation ne peut donc nous permettre d'accéder qu'à deux réalités différentes, même si l'idéologie qui sous-tend l'ensemble est identique.

Par ailleurs, il semble bien difficile de mener une étude sur les prêtres des campagnes en éludant deux questions fondamentales: celle de la formation des paroisses et celle de la destinée des "églises privées". L'auteur explique à plusieurs reprises que ce n'est pas là son sujet et que même en l'absence d'un réseau paroissial, les églises locales étaient des points de ralliement pour les communautés de fidèles qui devaient y payer la dîme, venir y écouter la messe et y recevoir les sacrements. Chaque prêtre était affecté par son évêque à une église et n'avait normalement pas le droit d'en changer et, théoriquement, un évêque avait autorité sur tous les prêtres de son diocèse. Il n'empêche que dans le cadre de la territorialisation de tous les pouvoirs qui marque la période carolingienne, il est nécessaire de prendre en compte aussi la forme que revêt l'autorité du prêtre, à la fois sur des personnes et sur des lieux dont les limites sont en cours d'édification et souvent sanctionnées par des actes qui sont aussi des actes liturgiques, tout comme les relations privilégiées qu'il entretient avec les puissants qui sont souvent les fondateurs de son église. Mais il est clair qu'il faut, pour traiter ces sujets, recourir à une toute autre documentation que les capitulaires épiscopaux.

On voit donc combien est riche la problématique envisagée dans ce livre dont on recommandera la lecture à tous les historiens de l'époque carolingienne et dont on espère de prochains prolongements.

NOTES

[1] J. L. Nelson, "Literacy in Carolingian Government", in R. McKitterick, ed., The Uses of Literacy in Early Medieval Europe (Cambridge: Cambridge University Press, 1990), pp. 258-296.