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07.09.11, Aurell and Tonnerre, Plantagenets et Capetiens

07.09.11, Aurell and Tonnerre, Plantagenets et Capetiens


Les recherches sur l'Empire Plantagenet interessent les medievistes depuis quelques annees, aussi bien du cote francais, comme le prouvent les ouvrages de Martin Aurell, que du cote anglais par John Gillingham, Nicolas Vincent ou David Crouch. Le volume se place dans la ligne directe de trois tables rondes franco-anglaises dediees aux Plantagenet, dont les actes ont ete publies a Poitiers sous la direction de Martin Aurell: La cour Plantagenet (2000), Noblesse de l'espace Plantagenet (2001) et Culture politique des Plantagenet (2003).

L'originalite du tome Capetiens et Plantagenet par rapport aux volumes collectifs qui le precedent est le comparatisme. Ces actes constituent un panorama exhaustif et complexe des rapports entre les Capetiens et les Plantagenet autour de l'annee 1204, moment de la separation de la Normandie de l'Empire Plantagenet au profit des Francais et le debut du demantelement de l'empire. Ce recueil met face a face deux constructions politiques, deux ideologies, deux societes, deux familles, deux espaces et enfin, mais non en dernier lieu, des individus pris au jeu de conflits et interets differents. Les auteurs convoquent donc des methodologies d'approche dont la diversite n'a d'egal que leur richesse. L'histoire politique se combine avec l'histoire sociale, la problematique de la parente avec les Gender studies et l'hagiographie ou la litterature viennent completer les recoins non explores. La brillante introduction de Martin Aurell resume parfaitement la problematique du volume : "Une perception exclusivement nationale de ces problemes est a jamais abandonnee. En s'ouvrant geographiquement, l'erudition elargit son champ d'investigation. L'histoire sociale, en plein renouvellement, detourne desormais les questionnements politiques vers la dimension humaine, familiale et feodale de la separation de 1204 (...) dans un tel contexte, un vent de renouveau epistemologique souffle sur les differents articles composant le present volume" (14). Et John Baldwin de conclure dans son bilan fructueux des ressemblances et divergences entre Plantagenet et Capetiens a l'existence de trois axes essentielles qui structurent le volume, les femmes, les royaumes et la culture de cour (517 sq).

Le volume est globalement dirige par deux fils d'Ariane qui ne sont jamais perdus de vue par les auteurs : d'une part les confrontations, de l'autre les heritages des deux grandes familles royales qui se disputent une bonne partie de l'Europe au XIIIe siecle.

C'est en etudiant les conflits et les confrontations que le chercheur parvient a degager les rapports entre les Capetiens et les Plantagenet dans toute leur complexite et a saisir les particularites de ces deux familles et de ces deux politiques qui ne peuvent au bout du compte etre comprises qu'en interdependance. C'est pourquoi un bon nombre d'articles se concentrent sur les aspects spatiaux et militaires tels qu'ils prennent contour dans les conflits entre Capetiens et Plantagenet au debut du XIIIe siecle. Bernard Bachrach met en evidence la strategie militaire essentielle des Angevins, qui consiste a eviter de livrer bataille en rase campagne ; de maniere magistrale, l'auteur parvient a joindre histoire culturelle et histoire militaire, en rappelant que la clef de la construction de l'Empire est la diplomatie et non pas le conflit arme, et que les Plantagenet savent tirer profit sur le plan militaire de leur education et de leur culture, puisque l'un de leur livre de chevet en la matiere est celui de Vegece. Marie-Pierre Baudry complete cette vision par une discussion sur les chateaux et places fortes des deux royaumes et conclut a une imitation des Plantagenet par les Capetiens. Mais les problematiques de la guerre appellent celles des territoires : Noel-Yves Tonnerre discute la facon dont Henri II s'impose en Anjou, alors que Frederic Boutoulle renouvelle considerablement les perspectives sur la Gascogne, en montrant que cette region resiste aux Capetiens au debut du XIIIe siecle grace aux efforts de longue date des Plantagenet d'y affermir le pouvoir ducal mais egalement grace a l'influence qu'y exercent les rois d'Aragon et de Navarre. Judith Everard examine la Bretagne par une perspective originale, celle de la circulation maritime, peu etudiee. La Normandie, que les Plantagenet ont delaissee progressivement sous la pression de la noblesse locale [1], est prise comme point de mire par Mate Billore qui montre qu'avant la conquete de 1204 les Plantagenet connaissent une "derive autocratique" (160) dans la region, et que la noblesse normande est, par la parole et par les actes, sur le plan ideologique et sur le plan evenementiel, de plus en plus prete a la rebellion voire a la trahison. Outre le regard direct des historiens d'aujourd'hui sur le conflit entre Capetiens et Plantagenet, Kimberly Lo Prete examine par un jeu de regards croises comment les problemes sont vus par les yeux d'une famille frontaliere, les comtes de Blois-Champagne, autour de l'annee 1204.

L'un des points fort de ce recueil est le fait que l'histoire purement evenementielle est systematiquement evitee, c'est pourquoi meme lorsque les auteurs se penchent sur des evenements centraux pour l'evolution et l'issue des conflits ils en examinent les causes profondes en convoquant l'histoire sociale, politique ou religieuse. Il en est ainsi de la rebellion de 1173, pour laquelle Ursula Vones Libenstein offre un moteur explicatif interessant, le rattachement d'Henri le Jeune au parti de Thomas Beckett, afin de s'approprier ses anciens partisans, ou de la bataille de 1203 qui donne a Annie Renoux l'occasion d'examiner l'implication de Juhel II de Mayenne dans les evenements. L'hommage prete par les Plantagenet aux Capetiens est explique en perspective diachronique et juridique par Klaus Van Eickels comme un acte nuance, en meme temps lourd a supporter par les Plantagenet mais aussi comme un desir de reconnaissance de leur legitimite par le Capetien.

Parfois ce sont les individus qui sont surpris en mouvement et aux prises avec des situations de crise et des conflits. Jean de Salisbury chez Julie Barrau ou Pierre de Blois chez Egbert Turk apparaissent dans toute la complexite de leur situation ou de leurs portraits et au-dela de l'homme c'est l'intellectuel du XIIe siecle que nous parvenons a connaitre, aussi bien son potentiel diplomatique d'intermediaire en condition de conflit. D'autres recherches visent a connaitre uniquement les etres humains derriere leur masque politique ou social, et c'est ainsi que Hanna Vollrath choisit une demarche plus psychologisante, en se servant de l'apport des theories les plus recentes dans l'histoire des emotions, pour tenter de degager la nature de la relation entre Alienor et ses enfants. La trouvaille de John Gillingham, l'obituaire de Richard Coeur de Lion, laisse transparaitre outre-tombe un portrait saisissant du roi, surpris en tant que souverain et en tant que personne.

Une grande partie des auteurs se sont penches sur les aspects sociaux de l'heritage des confrontations. Ainsi, les minorites se voient parfois prises dans le conflit qui oppose les Plantagenet aux Capetiens et William Jordan examine la situation des Juifs de la France de l'Ouest dans l'etat de transition entre les deux centres de pouvoir. Bruno Lemesle choisit de comparer la situation des paysans et du menu peuple a travers une source clericale comme La Vie de Geoffroi de Jean de Marmoutier et a travers les sources diplomatiques qui corroborent les informations de la premiere. La situation des femmes n'est pas en reste: dans le sillage nouveau de la methodologie historique a l'oeuvre depuis quelques decennies, Geraldine Damon discute la position des femmes dans le Poitou a l'aide d'informations donnees pas les chartes qu'elle interprete avec beaucoup de rigueur et de finesse, et aboutit a des conclusions s'elevant au-dessus de l'histoire regionale et completant la grande histoire sociale du XIIe siecle. D'autre part, Elisabeth Van Houts met en oeuvre un survol synthetique de la situation des femmes dans l'Empire Plantagenet, alors que Marie Hivergneaux apporte quelques nuances interessantes sur le pouvoir formel et informel d'Alienor d'Aquitaine au prisme de ses chartes. Dans son erudite contribution, Nicolas Vincent met en evidence le patronage politique et religieux d'Alienor d'Aquitaine tel qu'il ressort de ses chartes, en depassant la pensee historique habituelle qui la relegue au role de mecene des poetes et qui neglige totalement sa piete ou son sens pratique. L'article de Daniel Power part de la situation de la Normandie a la fin du XIIe siecle pour aboutir a des importantes conclusions sociales sur le role, le statut et les origines des officiers ducaux a la veille de 1204, qui expliquent la chute facile de cette principaute. Enfin les strategies des Capetiens aussi bien que des Plantagenet dans le conflit qui les oppose restent les memes pour ce qui est de la nomination des eveques, comme le montre subtilement Jorg Peltzer.

Deux recherches extremement fines et percutantes rappellent la place de l'exemplarite dans les sources litteraires ou hagiographiques. Scott Waugh trace un panorama exhaustif des ecrits de la cour Plantagenet qui fonctionnent comme des miroirs des princes. Les auteurs puisent dans l'hagiographie ou dans l'historiographie des modeles de souverains ideaux et de saintete royale. Scott Waugh rappelle egalement que ces modeles ont eu un impact reel et qu'ils ne restent pas des constructions theoriques figees. L'excellent article de Peter Damian Grint montre a quel point il est risque de parler de commandes ou d'ideologie politique diffusee a travers la litterature, en s'appuyant sur Benoit de Saint-Maure, sa propagande anti-francaise et sa relation avec Henri II. L'auteur souligne que Benoit est avant tout un createur de recits exemplaires, en bon historiographe du temps, a une epoque ou l'historiographie etait progressivement "clericalisee". La problematique de la culture de cour appelle la question des origines et des modeles de cette culture. Henri II herite la maxime "un roi illettre est comme un ane couronne" d'Henri Ier Beauclerc [2]. Judith Green va plus loin et avance l'idee que l'origine de la culture de cour des Plantagenet se place sous le regne d'Henri Ier, qu'Henri II aurait largement imite.

Les angles d'approche ne manquent donc pas a ce recueil, les perspectives sont larges et visent a s'encrer dans l'histoire europeenne, et les conclusions convergentes, limpides et originales. On regrettera seulement quelques petites lacunes, difficiles a eviter pour un sujet si ample. Ainsi, malgre la richesse des approches concernant le territoire, le volume ne comporte pas d'article sur l'Aquitaine, ou sur la position des Poitevins. Certaines sources qui auraient pu apporter d'autres lumieres sur les confrontations, comme les chansons de geste, ne sont pas prises en compte. Le point de vue des Capetiens n'est jamais assigne comme point de depart, ce sont toujours eux qui sont rapportes aux Plantagenet. Les sources qui mettent en avant leur vision et leur attitude ne sont que trop peu exploitees, meme si elles ne sont pas tres nombreuses, comme le rappelle John Baldwin (522) ; les conflits sont systematiquement percus par un miroir que seuls les Plantagenet semblent avoir le droit de tenir. De meme, le role et l'implication de l'Eglise ou de la papaute dans les confrontations ne sont que trop peu pris en compte. Enfin, les sources litteraires ou hagiographiques ne sont convoquees que dans trop peu d'articles. Certes, elles sont deja presentes dans le volume Culture politique des Plantagenet, mais elles n'ont jamais ete observees dans le contexte d'une comparaison explicite entre les deux familles, mais uniquement du point de vue des Angevins.

L'une des difficultes de ce volume etait de mettre en perspective non pas une famille ou un conglomerat de territoires, ni un gouvernement, mais deux royaumes concurrentiels en relation l'un avec l'autre. Ce pari a ete tenu avec grande rigueur, finesse et originalite par les auteurs, qui ont rendu ce face a face present tout le long du volume et quel que soit leur theme ou leur approche. La coherence du recueil est due au soin des auteurs mais aussi a la clarte et a la profondeur des problematiques exposees en introduction par Martin Aurell aussi bien qu'a la teneur des conclusions remarquables de John Baldwin. L'ouvrage est une reference desormais incontournable pour l'histoire du transfert de pouvoir des Plantagenet aux Capetiens, et constitue une etape necessaire dans la comprehension de l'histoire europeenne ulterieure.

[NOTES]

[1] Selon les recherches de Martin Aurell, L'Empire des Plantagenet (1154-1224), Paris: Perrin, 2003, 227 sq., desormais disponible dans la traduction anglaise par David Crouch, The Plantagenet Empire, Londres: Longman, 2007. L'auteur la nomme neanmoins l'un des centres, "qui gouverne une ample peripherie, le pivot autour duquel s'agence l'espace que la maison d'Anjou tente de maitriser."

[2] Ibidem, p. 107.