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06.10.26, Renard, et al., Scribere sanctorum gesta

06.10.26, Renard, et al., Scribere sanctorum gesta


Cet ouvrage collectif, riche de 32 contributions--et de près de huit cents pages--offert à Guy Philippart à l'occasion de son éméritat, se présente comme un recueil d'études d'hagiographie médiévale articulé, après la présentation du chercheur et de ses travaux, en cinq parties, dont les titres correspondent aux domaines de prédilection du récipiendaire: littérature hagiographique (genres, auteurs, public); édition manuscrite et diffusion de la littérature hagiographique; écriture et réécriture en hagiographie; littérature hagiographie et culte des saints littérature hagiographique comme gisement documentaire, cette dernière section étant plus orientée sur l'histoire culturelle (histoire des idées et histoire de l'art).

La première partie rassemble 8 articles et s'ouvre sur une étude de W. Berschin, intitulée Wer schreibt Biographie im lateinischen Mittelalter (IV-XII Jh.)? qui propose en neuf pages un catalogue raisonné de 410 biographes classés en fonction de leur groupe social d'appartenance (en particulier univers monastique, épiscopat, clercs, diacres, prêtres, écolâtres, laïcs), montrant le rôle prépondérant des auteurs monastiques dans la rédaction des Biographies. Un tableau statistique, suivi d'un bref commentaire, permet d'apprécier l'évolution dans le temps de la part assumée par chacun de ces groupes dans la production textuelle. N. Delierneux, travaillant sur "Les Basilikoi Logoi, modèles de l'hagiographie féminine mésobyzantine: étroite influence ou inspiration ponctuelle?" choisit d'aborder, dans le corpus des Vies byzantines, les récits consacrés aux femmes, textes numériquement rares, d'auteurs masculins pour la plupart, sous l'angle particulier des rapports qu'entretiennent Vies féminines et panégyriques impériaux, en s'interrogeant sur les adaptations éventuelles d'un discours initialement masculin à des normes féminines l'examen détaille successivement le cas des Vies de moniales, d'épouses et d'impératrices, en confrontant le plan des Vies aux préceptes de Ménandre. Cet article met bien en lumière l'importance d'un jeu de reprises mais aussi d'écarts par rapport à un modèle rhétorique dans la rédaction des différentes Vies signalées qui toutes, cependant, s'entendent à développer le thème bien connu de la femme virile pour styliser le portrait des saintes. L'article est assorti en annexes des tableaux comparatifs des Vies selon le schéma de Ménandre et d'une bibliographie fournie. Dans "Anonymat et paternité littéraire dans l'hagiographie des Pays-Bas méridionaux (ca 920-ca 1320). Autour du discours sur "l'original" et la "copie "hagiographique au Moyen Age," J. Deploige, après avoir signalé l'anachronisme sous-jacent à l'emploi du terme de plagiat pour décrire la production hagiographique médiévale, mais également le radicalisme d'une prééminence de la variance, dans un panorama bien mené des positions théoriques de ces dernières années, se propose d'examiner la créativité hagiographique à l'œuvre dans un corpus de 490 textes écrits dans les frontières des diocèses de Thérouanne, Tournai, Arras, Cambrai et Liège. Illustré par plusieurs graphiques, cet article met en avant les questions que pose l'insertion de la notion de fonction-auteur dans une perspective historique portant sur le moyen âge et s'attarde sur le problème de la paternité littéraire dans le corpus prédéfini, proposant des réflexions qui sont autant d'appels à la nécessité de savoir raison garder en matière de prise de position dans le domaine de la théorie littéraire. K. Heene, dans Hagiography and Gender: A Tentative Case-Study on Thomas of Cantimpré, mène une étude comparative de deux textes de Thomas de Cantimpré, la Vita Ioannis Cantipratensis et la Vita Liutgardis. S'intéressant à l'approche des personnages féminins dans ces textes du XIIIème siècle, K. Heene étudie en particulier les idées de l'hagiographe sur le genre féminin, sur les rapports hommes-femmes et montre la manière dont il se démarque des préjugés et d'une misogynie de convention pour mettre en exergue l'égalité dans la sainteté et les vertus chrétiennes des saints personnages, par delà la différence sexuée. P.-G. Schmidt, lui, dans Humanistiche Hagiographie: Die "Wilhelmis "des Antwerpener Humanisten Cornelius De Schrijver (Cyprianus Cornelius Grapheus) aus dem Jahre 1518 étudie une épopée de 775 hexamètres consacrée à Guillaume par le poète Grapheus en soulignant l'importance du modèle virgilien de l'Enéide dans l'autoreprésentation du poète et la mise en place de la figure du héros. Comme le signalent les éléments du paratexte donnés aux pages 129-133, l'auteur humaniste est désormais, à part égale avec le saint, un personnage de poids dans la pratique littéraire. Les deux dernières contributions insérées dans cette première partie s'appuient sur d'amples données: celle d'I. Van 't Spijker, sur Model Reading. Saints' Lives and Literature of Religious Formation in the Eleventh and Twelfth Centuries, prend pour problématique l'examen des liens entre édification hagiographique et préceptes de littérature d'édification religieuse (notamment à travers traités et sermons) et la manière dont un modèle édifiant, transparaissant dans le parcours d'un saint imitable mais aussi admirable, peut trouver des échos dans des textes qui mettent en avant la formation de l'être intérieur, et s'appuie sur les œuvres entre autres d'Hugues de Saint-Victor, de Richard de Saint-Victor et de Pierre Damien. La contribution de M. Van Uytfanghe revient, avec force références, sur la question de "L'audience de l'hagiographie au VIème siècle en Gaule," et entend répondre aux questions portant sur l'identité des publics visés par cette production, la circulation de ces textes, l'autorité de l'écrit, la lecture personnelle de ces textes, les lieux de leur audition, et, pour le contexte liturgique, les moments de la messe o intervenait la récitation parfois dramatisée de ces textes hagiographiques.

Le deuxième axe de l'ouvrage privilégie dans les six articles présentés "l'édition manuscrite et (la) diffusion de la littérature hagiographique;" F. Dolbeau propose une étude de cas avec "La diffusion de la Vita S. Ursmari de Rathier de Vérone," examen préparant une future édition critique, et livre un inventaire détaillé des manuscrits subsistants ou attestés avant de signaler les différentes formes sous lesquelles ce texte a pu circuler. En annexe figure une édition critique des additions de la Vie interpolée (recension de Lobbes). P. Henriet, lui, dans "Sanctoral clunisien et sanctoral hispanique au XIIème siècle, ou de l'ignorance réciproque au syncrétisme. A propos d'un lectionnaire de l'office originaire de Sahagun (fin XIIème siècle)," entreprend d'étudier le codex 9 de la bibliothèque de la Real Academia de la Historia de Madrid en proposant un examen minutieux des textes, de leur origine et de leur organisation, tout en se cantonnant au sanctoral. J.-M. Matz, pour sa part, s'interroge sur "les manuscrits hagiographiques des églises d'Angers à la fin du Moyen Age" en soulignant le faible nombre d'inventaires de livres conservés pour la ville d'Angers, pourtant place religieuse importante. Fondant son étude sur les archives médiévales de la cathédrale Saint-Maurice, l'auteur retient les textes hagiographiques narratifs ou homilétiques et dresse un bilan des manuscrits hagiographiques des abbayes, des couvents mendiants, des églises séculières avant de publier à titre de pièces justificatives les inventaires respectifs des livres de la collégiale Saint-Maimbeuf d'Angers (1531) et de ceux du Trésor de la cathédrale d'Angers (1505). "Les Vitae Patrum dans la littérature croate du Moyen Age" permettent à I. Petrovic de proposer une illustration très précise de l'importance du rôle joué par ce texte fondamental dans la constitution du patrimoine croate tant au niveau de la littérature latine que de celui de la littérature vernaculaire. J-Cl Poulin inscrit son étude sur "Un élément négligé de critique hagiographie: les titres de chapitre" dans le champ des recherches sur les dispositifs textuels en s'intéressant à la pratique de la capitulatio et montre bien la nécessité pour le chercheur de tenir compte d'un balisage qui permet d'atteindre, en transparence, le processus même de la création hagiographique. C'est également un souci méthodologique qui gouverne l'article de W. Williams-Krapp sur Late Medieval German Manuscript Culture and Vernacular Hagiography, soucieux de conjuguer histoire de la circulation des manuscrits et analyses d'histoire des textes, dans un vaste champ d'investigations, regroupant pour les IXème-XVIème siècles 3900 Vies en langue vernaculaire transmises par quelque 850 manuscrits.

Le troisième axe du recueil, "Ecriture et réécriture en hagiographie: études de cas," renferme huit contributions, qui sont autant de démonstrations serrées: A. Boureau s'intéresse ainsi au chapitre LXI de la Légende dorée consacré à Pierre de Vérone dans "La patine hagiographique. Saint Pierre Martyr dans la Légende dorée;" A.-M. Bultot Verleysen, travaillant sur "Le Speculum sanctorale de Bernard Gui, témoin d'un intérêt pour la Vita de saint Géraud d'Aurillac au XIVème siècle," étudie les raisons pour lesquelles et la façon dont le dominicain exploite la Vie de Géraud dans une série d'études comparatives précisément menées, qui montrent le talent d'abréviateur de Bernard Gui, et donne une édition du texte, basée sur Paris, BNF, lat. 5406. F. de Vriendt, dans "Un écrit lobbain du XIème siècle: la Vie de sainte Renelde, martyre à Saintes (BHL 7082). Commentaire et nouvelle hypothèse de datation," opte pour une perspective d'histoire littéraire afin de réexaminer la datation traditionnelle du texte, débusquant les différents indices qui font de Lobbes le lieu de composition et proposant la fourchette 1015-1035 comme période de rédaction. A. Dierkens, pour "L'auteur de la Vita sancti Beregisi abbatis (BHL 1180): Frédéric, prévôt de Gorze puis abbé de Saint-Hubert (mort en 942)," s'attarde sur une Vita anonyme, datée de 937, et démontre la paternité de Frédéric pour un texte qui s'avère manifeste politique, révélateur des réformes monastiques du Xème siècle. Ph. George et J.-L. Kupper, co-auteurs de "Hagiographie et politique autour de l'an Mil: l'évêque de Liège Notger et l'abbaye de Stavelot-Malmedy," en étudiant le contexte de rédaction d'une nouvelle Vie de Remacle par hériger, à la demande de l'abbé Wérinfride, Vita dont la paternité est attribuée à l'évêque de Liège, démontent les enjeux d'un texte qui, à leurs yeux, illustre le genre de l'hagio-politique. M. Goullet, dans "La Vie d'Adelphe de Metz par Werinharius: une réécriture polémique?" se livre à une confrontation minutieuse et convaincante de deux textes composés après la translation d'Adelphe dans l'abbaye alsacienne de Neuwiller au IXème siècle, BHL 76 et BHL 75v, en examinant notamment les liens qui les unissent à la Vita Arnulfi et à un passage de Paul Diacre, proposant une clé de lecture nouvelle puisque le texte de Werinharius, à ses yeux plus théologique, correspond à la substitution d'un modèle spirituel à un modèle fictionnel. C'est également dans une perspective comparatiste que le regretté I Deug-Su inscrit son étude méticuleuse sur Le fonti della Vita Leobae di Rodolfo di Fulda, mettant en lumière maints points de convergence entre la Vita Antonii et la Vita Leobae d'une part, la Vita Germani et la Vita Leobae d'autre part, tout en soulignant fortement la divergence existant, chez l'hagiographe, entre reprises littérales et refus d'exploiter servilement les modèles de sainteté véhiculés par les hypotextes. L'axe écriture/réécriture se clôt sur la contribution de M. Thiry-Stassin, "Johanne de Malone: une rédactrice atypique de vies de saints (Leyde, BPL 46A)," qui met au jour les méthodes d'une hagiographe en langue française qu'elle qualifie joliement de "ravaudeuse des morceaux du paradis" et donne, comme étude de cas, le texte composé par sœur Johanne sur Théodard, évêque de Tongres, qui repose sur la combinaison de passages du Myreur des Histors de Jean d'Outremeuse et de pièces du sanctoral et du temporal tirées de la Légende dorée.

Le quatrième volet, "Littérature hagiographique et culte des saints," présente 6 articles: P. Bolle aborde le dossier de saint Roch de Montpellier dans une ample analyse, très documentée, intitulée "Saint Roch de Montpellier, doublet hagiographique de saint Raco d'Autun. Un apport décisif de l'examen approfondi des incunables et imprimés anciens," en le dépoussiérant d'analyses obsolètes E. Bozoky, avec "La légende de saint Coloman de Melk, pèlerin martyr," montre à merveille la manière dont les textes hagiographiques peuvent fabriquer un saint en partant d'un fait divers, ici sa mise à mort pour espionnage. On trouvera une traduction de la Passion en annexe. G. Declercq examine, quant à lui, "La Vita prima Bavonis et le culte de saint Bavon à l'époque carolingienne" et souligne la rapidité de la diffusion du culte d'un personnage à la fois disciple d'un saint réputé, Amand, et patron d'une abbaye royale. Si M. E. Goodich, dans The Judicial Foundations of Hagiography in the Central Middle Ages explore, à travers l'étude des documents concernant Pierre de Vérone, Philippe de Bourges, Thomas d'Aquin et Thomas d'Hereford, la bureaucratisation progressive du culte des saints, M. Parisse et A. Wagner livrent un riche dossier consacré à "Saint Paul de Verdun, Vie et Miracles" qui offre en particulier, après la présentation de l'évêque et un historique de l'abbaye, une analyse détaillée des Miracles et une précieuse traduction. J. Pycke, dans l'article qu'il consacre à "Un témoignage inédit sur le culte de la Croix, de Notre-Dame et des reliques à la cathédrale de Tournai au XVème siècle: le Liber confraternitatis fabricae ecclesiae Tornacensis," recherche inscrite dans le champ des sources liturgiques, offre une édition d'un texte important pour l'histoire de la cathédrale.

La dernière section du recueil aborde "La littérature hagiographique comme gisement documentaire:" trois articles la composent. R. Halleux examine dans "Le baptême du philosophe Craton. Origine et sens d'une image sur les fonts baptismaux dits de Saint-Barthélémy à Liège," le motif du baptême du philosophe par Jean l'Evangéliste. Brossant un tableau des sources littéraires, l'auteur montre l'actualité du thème au XIIème siècle et souligne bien la pluri-fonctionnalité d'un motif appelé à traduire la subordination du savoir scolaire au service de la foi. Si J.-M. Sansterre et N. Stalmans proposent dans "L'autonomie du miracle chez Pierre Damien" une analyse pointue d'un récit de miracle, extrait de la lettre 40 de Pierre Damien et rédigé dans un contexte polémique portant sur la validité des ordinations simoniaques, le dernier article du recueil, celui de P. Tomea, se présente comme une enquête nourrie consacrée à Il segno di Edipo. Parricidio, incesto et materia tebana nelle fonti agiografiche medioevali (con una Vita inedita di sant'Ursio) et offre, in fine, l'édition de la Vita Ursii d'après Padova, Biblioteca Universitaria, 1622, fol. 151v-152r.

On le voit, la qualité du récipiendaire, le nombre de ses travaux ont inspiré la grande richesse des diverses contributions qui font de Scribere sanctorum gesta un recueil de poids dans le domaine des études hagiographiques, illustrant, par la multiplicité des approches qu'il recèle, l'éventail des problématiques qui s'offrent actuellement aux chercheurs en hagiographie.