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00.03.01, Goez and Goez, eds., MGH: Die Urkunden und Briefe der Markgräfin Mathilde von Tuszien.

00.03.01, Goez and Goez, eds., MGH: Die Urkunden und Briefe der Markgräfin Mathilde von Tuszien.


De Mathilde de Toscane on connaît l'histoire, celle d'une femme seule et riche dans le monde masculin et violent de la Querelle des Investitures. On connaît son engagement aux côtés de Grégoire VII et de ses successeurs, son indéfectible fidélité àla papauté. On connaît aussi sa survie dans le mythe et la légende. Mais Mathilde, ce n'est pas seulement une belle image. C'est d'abord un patrimoine, une politique, des relations, des obligations, des vassaux, et donc des chartes et des lettres. Elke et Werner Goez ont eu la bonne idée, grâce àRaoul Manselli, de réunir ces documents, et ils ont surtout eu le courage et la ténacité qu'il fallait pour mener ce projet àterme. Ce qui représente tout de même 134 chartes, plus 14 actes faux, et 115 mentions d'actes perdus. Alors que, depuis de nombreuses années, les études sur les femmes au Moyen Age se multiplient, voici un dossier remarquable qui permet de renouveler la connaissance qu'on peut avoir d'une femme du XIe siècle. Evidemment, il n'y faut chercher que ce que les chartes peuvent donner. C'est-à-dire surtout des faits, des événements, des noms, des dates. L'esprit, les idées, les préoccupations de Mathilde, et surtout de Mathilde comme femme, n'apparaissent que très rarement. Mais peu importe: il y a ici amplement de quoi multiplier les études.

L'édition est de grande qualité, très précise, très détaillée, àla hauteur de la réputation des Monumenta Germaniae Historica, dont elle reprend les règles d'édition de textes, en matière de tradition des textes, de critique, d'établissement du texte, d'index. Le choix des textes est large: tous les actes donnés, ou simplement souscrits par Mathilde (n° 80, pour l'évêque de Mantoue, par exemple), ont été retenus et édités. La part du volume consacrée aux actes perdus constitue presque des regestes de Mathilde, tant les éditeurs ont eu une conception généreuse de la notion d'acte perdu. On peut par exemple rester un peu dubitatif quant àl'existence d'un acte, et pas seulement d'une action juridique, dans le cas du deperditum n° 8, qui mentionne simplement un lieu "ubi residebat comitissa Beatrix una cum filia sua Matilda", ce que les éditeurs interprètent comme voulant dire que Mathilde et sa mère ont tenu làun plaid et qu'il y eut donc un acte écrit: cela devient tout doucement assez hypothétique. On pourrait dire la même chose du deperditum n° 61, et de plusieurs autres. Mais ce n'est évidemment pas très grave au regard de tout le travail fourni. L'établissement des textes a été fait avec beaucoup de soin, respectant la graphie parfois très fantaisiste des scribes. Les éditeurs ont choisi de ne pas indiquer en italique les abréviations résolues, afin d'accroître la lisibilité du texte, et ils ont eu tout àfait raison. Chaque document a fait l'objet d'une étude critique très poussée. Les analyses sont brèves, mais claires. Les index sont particulièrement complets, et donc précieux: index des bénéficiaires, des fonds d'archives, des notaires (rédacteurs d'actes et copistes), des personnes, des saints et patrons d'églises, des lieux, des mots et des choses. Les éditeurs ont pris l'initiative tout àfait louable d'éditer les attestations des notaires des copies, pour permettre de meilleures études sur le fonctionnement du notariat dans l'Italie du XIe siècle. On regrettera tout de même que les actes considérés comme faux soient édités séparément des actes considérés comme authentiques. C'est une erreur, parce que si àl'avenir l'appréciation sur l'authenticité ou la fausseté d'un acte change, sa place dans le recueil sera trompeuse.

Les actes de Mathilde ont tous été écrits en Italie, même quand ils concernaient la Lotharingie. Ils étaient établis soit par des notaires laïcs, qui résidaient dans une ville et rédigeaient les actes relatifs àcelle-ci et ses environs, soit, surtout àpartir de 1100, par des clercs portant le titre de capellani. Mathilde n'avait, selon les éditeurs de ses actes, pas de chancellerie àproprement parler, puisque la production d'actes se faisait sans organisation réellement cohérente ni en matière de personnel, ni en ce qui concerne l'élaboration des actes. Malgré tout, la présence de certaines formules dans plusieurs actes différents montre qu'il y avait tout de même, dans l'entourage de Mathilde, des gens qui la suivaient avec une certaine constance. On imagine mal, d'ailleurs, que Mathilde, princesse itinérante, se soit déplacée sans avoir d'autres conseillers ni d'autres juristes que ceux qu'elle pouvait trouver dans les villes où elle résidait.

La plupart des actes correspondent au formulaire italien traditionnel, avec invocation, date, parfois un préambule, dispositif, menace de sanction pénale pour les contrevenants, souscriptions. Certains, cependant, ressemblent àl'acte transalpin du XIe siècle, avec intitulation, préambule, notification, et même un sceau, ce qui est tout àfait exceptionnel en Italie àla fin du XIe siècle. Il faut y voir sans doute l'influence des origines lotharingiennes de Mathilde.

Le portrait que ces textes nous permettent de dresser de Mathilde est évidemment très partiel. Rares sont les actes qui concernent la grande politique, comme par exemple une lettre par laquelle Mathilde informe les partisans du pape en Allemagne, vers la fin mai 1084, de ce qu'Henri IV est parti de Rome, mais a mis la main sur la matrice du sceau pontifical (n° 38). Mais on voit surtout Mathilde agir en tant que princesse territoriale. Elle se montre généreuse àl'égard des églises et des hôpitaux, elle préside les tribunaux, elle récompense les fidèles. Elle agit surtout dans l'Italie padane (82 actes) et la Toscane (49 actes), beaucoup moins en Lotharingie, où elle possédait encore quelques biens (5 actes). De loin la plus favorisée est l'abbaye de San Benedetto Po, près de Mantoue, qui reçoit 19 actes et où elle se fera d'ailleurs enterrer.

La plupart des actes édités sont des actes de donation, éventuellement de restitution ou de vente. Ils sont le plus souvent rédigés de manière subjective, àla première personne ("Ego Mathilda ... notum volo quod ... ego restituo ...."). Ils montrent la piété de Mathilde, mais aussi l'étendue de son pouvoir, de sa richesse, de son influence. On aura noté que bien qu'on l'appelle Mathilde de Toscane, elle intervient surtout dans la plaine du Pô, plus qu'en Toscane. L'étendue et la dispersion des possessions de Mathilde entraînaient une difficulté de contrôle, ce qu'elle avoue àl'occasion, quand elle restitue àSan Benedetto Po des biens que ses serviteurs avaient volés, "me nesciente" (n° 137).

Il y a 25 actes de plaids, donc judiciaires. Tous sont rédigés en style objectif, àla troisième personne ("dum resideret in iudicio domina Matilda gracia dei ducatrix..."), et répondent àun schéma traditionnel: Mathilde siège avec des juges et d'autres personnes importantes, comme des comtes ou des vicomtes. Une personne se lève et dépose un plainte, soit pour elle-même, soit au nom de quelqu'un d'autre. L'autre partie se défend, et finalement Mathilde tranche. Mais la part de liberté de Mathilde n'est pas claire. Tel texte (n° 32) dit, par exemple, que Mathilde a investi le plaignant, mais elle l'a fait "ex iussu et consilio suprascriptorum iudicum". Mathilde est-elle une puissante princesse, ou la porte-parole d'un groupe de hauts fonctionnaires? D'autres textes confirment le malaise, mais en l'inversant. Dans un autre procès, ce sont les juges qui décident, et Mathilde qui approuve ("constitutum est ab is omnibus iudicibus, domina comitissa Matilda laudante", n° 31). Il y aurait làun point intéressant àétudier. Parfois cependant le procès est fictif: une personne se déclare prête àdéfendre la légitimité de sa possession d'un bien face àn'importe qui, et comme personne ne se lève pour revendiquer le bien en question, Mathilde peut confirmer cette possession.

Mais précisément, d'où vient le pouvoir de Mathilde? Et quel est ce pouvoir? Les actes hésitent, la qualifiant surtout de "comitissa", mais aussi de "comitissa et ducatrix", "ducatrix", "marchionissa" ou "marchionissa et ducatrix". Jamais cependant une région, un territoire, sur lequel elle exercerait ce titre ne sont évoqués. Ce sont làles titres que lui donnent des notaires, des scribes. Mathilde avait coutume d'écrire elle-même sa souscription, qu'elle apposait au bas des chartes qu'elle donnait. Plusieurs photographies nous permettent de voir sa souscription, généralement écrite en lettres capitales autour d'une croix: "Matilda, dei gratia si quid est". Souscription toute simple, très modeste, pour quelqu'un qui finalement était surtout une personne très riche, mais qui n'exerçait pas vraiment de fonction publique. Est-ce parce qu'elle était femme? En tout cas, jusqu'àla fin de ses jours, elle est présentée comme la fille du marquis Boniface. Ce qui montre les limites de son indépendance.

Les actes de Mathilde sont rarement des morceaux de grande littérature. Le plus souvent, cependant, la langue est correcte et précise. Dans certains cas, le latin est incorrect. Mais on a l'impression que c'est dû surtout àla distraction ou àla légèreté du scribe, plus qu'àune méconnaissance du latin. Quand, par exemple, on trouve "Factu" au lieu de "Factum" (n° 44), "in furo" au lieu de "in futuro" (n° 124), il s'agit bien làde fautes d'inattention.

Le travail d'édition fourni par Elke et Werner Goez est tout àfait remarquable. L'introduction qu'ils ont rédigée, bien que riche, n'épuise pas le matériau exceptionnel pour l'étude de l'Italie du XIe et du début du XIIe siècle que constitue ce recueil d'actes. En particulier, il devrait permettre de mieux connaître une des femmes les plus fascinantes du Moyen Age, Mathilde, dite de Toscane.