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98.05.08, Maniates, ed., Music Discourse from Classical to Early Modern Times

98.05.08, Maniates, ed., Music Discourse from Classical to Early Modern Times


Maria Rika Maniates édite dans ce recueil les actes d'un colloque tenu en octobre 1990 à l'université de Toronto et consacré aux problèmes d'édition et de traduction de textes thèoriques sur la musique.

Le premier article, dû à Claude V. Palisca, s'intitule "Fidelities and Infidelities in Translating Early Music Theory". Dans une première partie, l'auteur expose les principes généraux que devrait respecter toute traduction d'un texte thèorique sur la musique. De manière globale, il préconise une traduction selon l'esprit plutôt que selon la lettre. En effet, certains mots n'ont pas la même signification aujourd'hui que par le passé ou changent de signification selon le contexte (harmonia, modulare, melodia). Une traduction litterále de ces termes risque d'induire le lecteur moderne en erreur. A ce propos, Cl. V. Palisca commente une recommandation de Thomas J. Mathiesen et de Jon Salomon, qui dirigent, comme lui, une série de traductions de traités musicaux. Selon Th. J. Mathiesen et J. Salomon, les termes techniques doivent être traduits par des termes modernes apparentés, en particulier sur le plan étymologique. En outre, ils demandent qu'un même terme soit toujours traduit de manière identique, indépendamment de son contexte. Suivant ce principe, harmonia sera par exemple toujours traduit par "harmonie" (harmony).

Cl. V. Palisca s'oppose à une telle pratique, car elle risque d'obscurcir le sens du texte. D'après lui, le traducteur doit utiliser un langage clair et idiomatique. La même mise en garde vaut pour la syntaxe et la présentation générale du texte. Palisca préconise ainsi l'introduction de paragraphes éditoriaux, l'ommission de certaines particules, la subdivision des phrases trop longues ainsi que diverses autres adaptations aux normes de l'anglais contemporain.

Ces principes sont illustrés a l'aide de trois passages tirés de traités théoriques sur la musique (Anonyme, His ita perspectis; Johannes Tinctoris, Liber de arte contrapuncti; Gioseffo Zarlino, Le Istitutioni harmoniche). Chaque passage est accompagné de deux traductions, que Cl. V. Palisca compare et commente.

Le second article, " Editing Ademar de Chabannes' Liturgy for the Feast of Saint Martial " est écrit par James Grier. Il traite de la liturgie composée au XIe siècle par le moine Adémar de Chabannes pour l'abbaye de Saint-Martial. Cette liturgie s'articule autour de la légende selon laquelle saint Martial était un cousin de saint Pierre et fut envoyé par ce dernier en Gaule au Iere siècle. Adémar de Chabannes composa le texte et la musique de sa liturgie pour remplacer celle dans laquelle saint Martial est célébré comme évêque et confesseur, conformément au témoignage de Grégoire de Tours.

La nouvelle liturgie aurait dû être instaurée à la cathédrale Saint-Etienne de Limoges, le 3 août 1029. Cependant, l'inauguration fut perturbée par l'intervention publique d'un moine lombard qui dénonca la légende et présenta la nouvelle liturgie comme une offense à Dieu. La source principale pour la liturgie composee par Adémar de Chabannes est le manuscrit Paris, Bibliothèque nationale, latin 909, dont J. Grier fournit une description codicologique détaillée. Ce manuscrit fut vraisemblablement réalisé au scriptorium de Saint-Martial pour l'abbaye voisine de Saint-Martin. Cependant, sa rédaction fut interrompue et c'est à ce moment qu'Adémar de Chabannes y inséra sa nouvelle liturgie, ainsi que quelques autres pièces.

Dans son article, J. Grier examine plus particulièrement les problèmes que posent les messes composées par Ademar de Chabannes. Le manuscrit Pa 909 contient en effet deux propres complets en l'honneur de saint Martial. Le premier est tropé et aurait servi à commemorer la mort du saint (30 juin). L'autre, non tropé, aurait été destiné à l'octave de la Saint-Martial ou à la fête de la translation. Selon l'auteur, la version tropée aurait été écrite en premier lieu, avant la version non tropée. La dernière partie de l'article consiste en un commentaire développé des tropes, basé sur quatre exemples.

Le troisième article s'attaque au problème de l'édition et de la traduction de textes arabes sur la musique. L'auteur, George Dimitri Sawa, prépare un recueil de traductions sous le titre de Source Readings in Medieval Middle Eastern Music History. Cette anthologie est conçue comme un complèment à celle d'Oliver Strunk, Source Readings in Music History (New York, 1950).

Les textes repris dans le recueil de G. D. Sawa datent de c. 750 à 1450. Ceux relatifs à la théorie musicale sont peu nombreux. En revanche, les sources qui relèvent de la litérature musicale sont abondantes et appartiennent à des genres variés. Dans son article, l'auteur discute des difficultés que présente la traduction de ces textes et expose les principes éditoriaux de son travail. En particulier, il explique les conventions typographiques adoptées en présence et en l'absence d'un "mot juste", dans le cas où : il existe plusieurs "mots justes" ou quand le "mot juste" ne couvre pas entièrement le sens du mot arabe. Il discute également de la question de la translitération et montre les situations dans lesquelles celle-ci est désirable ou au contraire inutile. Enfin, il explique comment il insère des commentaires dans le corps du texte et en note. Ces divers points sont illustres à l'aide de neuf passages traduits de deux auteurs du Xe siècle: Abu Nasr al-Farabi et Abu al-Faraj al-Isbahani.

Le quatrieme article est dû à Walter Kurt Kreyszig et traite de l'édition et de la traduction de la Theorica Musice de Franchino Gaffurio. Ce traité existe en deux éditions: la première fut publiée à Naples en 1480 sous le titre Theoricum opus musice discipline; la seconde vit le jour à Milan en 1492. Aucun manuscrit du traité n'est conservé. W. K. Kreyszig expose les principes qu'il a adoptés pour editer et traduire ce traité. En ce qui concerne l'édition, les corrections sont reprises dans le corps du texte, conformément au système américain, plutôt que d'être reléguées dans les notes, selon la manière européenne. L'auteur aborde différents problèmes que suscite l'édition du texte, en particulier l'orthographe, les abréviations, les césures en fin de ligne, la ponctuation, l'utilisation des capitales et l'introduction de paragraphes éditoriaux. Il insiste sur la multiplicité des sources dont Gaffurio se sert et expose la methode utilisée pour y faire reference. La traduction du Theorica musice préparée par W. K. Kreyszig tend à être aussi idiomatique que possible, dans le respect du sens du texte original. L'auteur discute, à l'instar de Cl. V. Palisca, de la recommandation de T. J. Mathiesen qui préconise un traitement cohérent, c'est-à-dire uniforme, du vocabulaire. Selon ce principe, un mot doit toujours être traduit de la même maniere. W. K. Kreyszig montre qu'il n'est pas toujours possible de respecter cette règle, car certains termes techniques changent de signification selon le contexte (vox, tonus, corda, sonus). Ces principes sont ensuite appliqués au troisième chapitre du livre 4 de la Theorica musice, présenté en fac-similé, selon l'édition de l'auteur et en traduction.

Le dernier article est signe Alan C. et William R. Bowen et s'intitule : "The Translator as Interpreter: Euclid's Sectio canonis and Ptolemy's Harmonica in the Latin Tradition". Le but de cette étude est de montrer la différence entre les traductions actuelles, effectuées selon des critères philologiques de précision et d'exactitude, et les traductions de la période pré-moderne, dans lesquelles la fidélité au texte original n'apparaît pas comme une exigence incontournable. Les auteurs cherchent à montrer que les traductions de textes pré-modernes fournissent des indications précieuses quant à la manière dont ces ouvrages étaient lus et compris. Pour illustrer leur propos, ils se concentrent sur le De institutione musica de Boèce, qui contient une traduction latine de deux textes importants de la théorie musicale grecque, la Sectio canonis d'Euclide et l'Harmonica de Ptolémée. Un examen attentif des originaux grecs et de leur traduction montre des divergences importantes. Cependant, selon les auteurs, ces écarts ne permettent pas d'affirmer que Boèce ne maitrisait pas le grec, ni que ces traductions sont basées sur des versions corrompues du texte grec. Ce point de vue est développé sur base d'une analyse comparée de deux passages (les premiéres lignes de l' Harmonica de Ptolémée et l'introduction de la Sectio canonis d'Euclide) en version originale et selon la traduction de Boèce. Pour chacun de ces textes, les auteurs montrent comment Boèce adapte l'original grec afin de le faire correspondre à l'idée que l'on se faisait à son époque de la science pythagoricienne de la musique.

Le premier de ces passages traite des critères de l'harmonie. Sur ce sujet, le point de vue de Boèce est incompatible avec celui de Ptolèmèe. En conséquence, la traduction de Boèce supprime les passages litigieux et dénature le texte de Ptolémée. La divergence d'opinions entre Ptolémée et Boèce éxplique d'ailleurs, selon A. C. et W. R. Bowen, pourquoi le traité de Ptolémée demeura si méconnu. En présentant Ptolémée comme un pythagoricien dissident (ce qu'il n'était pas), Boèce découragea ses lecteurs de retourner au texte grec. L'introduction de la Sectio canonis d'Euclide semble à première vue mieux cadrer avec les opinions de Boèce. Toutefois, même ici, les auteurs montrent des écarts entre le texte grec et la traduction latine, qui doivent à nouveau être imputés à une divergence doctrinale entre Euclide et Boèce.

En conclusion, A. C. et W. R. Bowen insistent sur le fait que l'on ne peut pas interpréter des traductions telles que celles de Boèce d'apres les présuppoés de la philologie moderne. Au contraire, pour bien comprendre de tels documents, il faut comprendre tant les sources sur lesquelles ils se fondent que le point de vue du traducteur.